• Entrechats à l'auberge espagnole

    Article d'Ey@el

    On trouve de tout chez les chats : des beaux, des laids, des loupés, des blonds, des teints, des pelés, des lents, des virés, des pitres, des teignes et surtout beaucoup de rabias1 ! Mais nul besoin de recourir aux jeux de mots hasardeux pour démontrer combien le chat inspire notre quotidien. En témoignent la multitude de proverbes et expressions dont regorgent les idiomes du monde entier. Je me suis attardée avec malice sur celles qui nous sont les plus familières, à nous autres Européens — du moins dans trois langues qui me parlent, à savoir celles de Molière, Cervantès et du chat qu'expire.2

    Le chat prédateur

    Ce ne sont pas Tom et Jerry qui me contrediront sur ce point : le chat et la souris sont deux ennemis qui vont très bien ensemble même si le second se passerait volontiers du premier. Nous sommes tous d'accord pour « jouer au chat et à la souris » et il est bien connu que « quand le chat n'est pas là, les souris dansent ».

    Prends un chat et couvre-le de lait,
    De tendre poulet et de coussins douillets,
    Il voit un souricet le long du muret ?
    Au diable il envoie le lait et le poulet,
    Et tous les délices du chalet.
    Car c'est toujours la souris qu'il chérit !

    © Geoffrey Chaucer, les Contes de Canterbury, 1478

    Toutefois, faute de rongeur à croquer, le matou se contentera volontiers de votre langue. Quand les chats gaulois, fort bien élevés, attendront patiemment qu'on la leur donne, la sauvagerie de ceux d'Albion vous l'arrachera sans vergogne3 et nous, pauvres naïfs, demanderons encore : « Mais vous avez perdu votre langue ? »

    Au vu de leur caractère irascible, mieux vaut donc éviter de « lâcher un chat au milieu des pigeons » à Trafalgar Square, ce qui reviendrait à faire entrer « le loup dans l'enclos »4 à l'hacienda ou encore à « jeter un pavé dans la mare » au bois de Boulogne.

    Prudents et respectueux, nous nous garderons bien de « réveiller un chat qui dort » quand nos voisins anglais sont, à l'évidence, davantage soucieux du sommeil de leurs chiens5 qui doivent certainement avoir un caractère encore plus épouvantable que leurs homologues félins arracheurs de langues.

    Le chat maltraité

    J'ai beau avoir passé de nombreuses années outre-Manche, je n'avais jamais remarqué à quel point leurs animaux étaient teigneux. Pas étonnant, me direz-vous, quand on voit comment ces pauvres bêtes y sont traitées.

    Non seulement, ils poussent la cruauté jusqu'à enfermer leurs chats dans des sacs dont il ne les laissent sortir6 que lorsqu'ils veulent « vendre la mèche » mais, comble de l'hypocrisie, quand la même ignominie est perpétrée par un Espagnol7, on feint l'indignation et on se la joue partie de pêche à la grosse mouche :

    — Il y a quelque chose de poissonneux là-dedans, fait l'Anglais en se pinçant le nez.

    — Je dirais même plus : il y a anguille sous roche, renchérit le français, fin connaisseur.

    Certes c'est du « pipi de chat » comparé au sport favori des Britanniques (le squash) qui consiste à « balancer des chats sur les murs »8. Ce à quoi notre politiquement correct rétorquera qu'« il n'y a pas la place de se retourner ». Et après, ils viendront encore nous raconter que « c'est la curiosité qui a tué le chat »9 avec l'appui inconditionnel des Espagnols et la complaisance des Français, qui n'oseront pas contredire que « la curiosité est un vilain défaut » !

    « Appelons un chat un chat » et laissons les Anglais et les Espagnols nommer respectivement leurs pelles, leur pain et leur vin10 comme ça leur chante. Moi, j'appelle ça de la barbarie pure et simple !

    Le chat dans l'Histoire

    Ne vous voilez pas la face. En France, on a fait bien pire sous l'Inquisition et les chasses aux sorcières où il était d'usage de « fouetter » et « échauder » les chats11 quand on ne les obligeait pas à marcher sur des charbons ardents même si nos voisins hypocrites vont rétorquer que « c'est faire beaucoup de bruit pour rien » ou qu'« on a mieux à faire »12, etc. Et de nous voir, en prime, taxer de « froggies » par ceux-là même qui se gargarisent avec des grenouilles qui leur restent ensuite coincées dans la gorge en lieu et place du chat qui nous enroue13 !

    Le chat dans tous ses états

    Si nous nous entendons encore bien sur le fait que « la nuit, tous les chats sont gris », nous nous comportons pas moins « comme chien et chat » dans tout ce qui relève de la diplomatie. Certes, si nos « chiens ne font pas des chats », en Angleterre, c'est « le fruit (la noix) qui ne tombe jamais loin de l'arbre », ce qui arrange bien les Espagnols qui ainsi « n'auront pas à chercher très loin »14 mais qui, toutefois, ne les empêchera pas de tenter de nous rouler en nous donnant « du chat pour du lièvre ».15

    « À bon chat, bon rat » français vaut mieux que les « prêté pour un rendu » britannique et « coup pour coup »16 hispanique. Et quand il s'agit de « chercher trois pieds au chat »17, c'est sans doute prise de tête à l'heure du thé mais ça n'en reste pas moins « chercher midi à quatorze heures » chez nous, changement d'heure à la onc oblige.

    Soit, si à Londres on se prend volontiers « pour les moustaches du chat », à Madrid pour « l'or et le Maure »18 et à Paris, « pour le nombril du monde », ces jeux d'ego ne sont ni plus ni moins que cela. Nous « jouons à chat » les uns avec les autres même si les Anglais, comme l'exige la monarchie, préfèrent jouer à l'« étiquette ».19

    De Charybde en Scylla20

    Mais, au fond, qui ça intéresse vraiment ces chats-mailleries ? « Quatre chats » espagnols, « trois pelés et un tondu » français et « à peine une âme »21 britannique ne valent « pas la queue d'un chat ».

    Quand il se mettra à « pleuvoir des chats et des chiens » au nord, des « cordes » au centre et des « cruches »22 au sud, c'est toute l'Europe qui sera mouillée. Ce qui explique sans doute la confusion fréquente entre l'Européen et le chat de gouttière.

    Un dernier virelangue pour la route23

    Si l'odeur des chaussettes de l’archi-duchesse, qui ne sont pas près d'être sèches, vous incommode, adoptez donc le chat de Natacha.

    Sachez mon cher Sacha
    Que Natacha n'attacha pas son chat !

    Natacha n'attacha pas son chat Pacha
    Qui s'échappa.

    Cela fâcha Sacha
    Qui chassa Natacha.

    Ey@el

    Notes et références

    1. ^ Pour le cas improbable où le jeu de mots vous aurait é-chat-pé : « chabots, chalets, chaloupés, chablons, châtains, chapelets, chalands, chavirés, chapitres, châtaignes et charabia ».
    2. ^ Il s'agit de Shakespeare bien sûr et non d'Hamlet !
    3. ^ « Donner sa langue au chat » et « Has the cat got your tongue? » (littéralement : « Le chat a pris/mangé ta langue ? »).
    4. ^ Equivalents espagnol et français de « To set a cat among the pigeons » : « Meter el lobo en el redil » et « Jeter un pavé dans la mare ».
    5. ^ Equivalent anglais de « Ne jamais réveiller le chat qui dort » : « Let sleeping dogs lie ».
    6. ^ Equivalent français de « To let the cat out of the bag » : « Vendre la mèche ».
    7. ^ Equivalents français et anglais de « Hay gato encerrado » (littéralement : « Il y a un chat enfermé ») : « Il y a anguille sous roche » et « There's something fishy going on here ».
    8. ^ Equivalent français de « There isn't enough room to swing a cat » : « Il n'y a pas assez de place pour se retourner ».
    9. ^ Equivalent français de « Curiosity killed the cat » : « La curiosité est un vilain défaut ».
    10. ^ Equivalents anglais et espagnol de « Appeler un chat un chat » : « To call a spade a spade » (littéralement : « Appeler une pelle une pelle ») et « Llamar al pan pan y al vino vino » (littéralement : « Appelez du pain du pain et du vin du vin »).
    11. ^ Expressions françaises : « Avoir d'autres chats à fouetter », « Il n'y a pas de quoi fouetter un chat », « Chat échaudé craint l'eau froide ».
    12. ^ Equivalents anglais et espagnol de « Avoir d'autres chats à fouetter » et « Il n'y a pas de quoi fouetter un chat »: « It's nothing to make a fuss about », « I've got better things to do » et « Tener otras cosas que hacer ».
    13. ^ Equivalent anglais de « Avoir un chat dans la gorge » : « To have a frog in one's throat » (littéralement : « Avoir une grenouille dans la gorge »).
    14. ^ Equivalents anglais et espagnol de « Les chiens ne font pas des chats » : « Nuts don’t fall far from the tree » et « No hay que buscar demasiado lejos ».
    15. ^ « Dar gato por liebre a alguien ».
    16. ^ Equivalents anglais et espagnol de « A bon chat, bon rat » : « Tit for tat » et « Golpe por golpe ».
    17. ^ Equivalent français de « Buscar tres pies al gato » : « Chercher midi à quatorze heures ».
    18. ^ Equivalents français et espagnol de « To think that one is the cat's whiskers » : « Se prendre pour le nombril du monde » et « Creerse que uno es el oro y el moro ».
    19. ^ Equivalent anglais de « Jouer à chat » : « To play tag » (littéralement : « Jouer à l'étiquette » mais n'a rien à voir avec l'étiquette du protocole qui se dit « etiquette »).
    20. ^ Charybde et Scylla sont deux monstres marins de la mythologie grecque. La légende est à l'origine de l'expression qui signifie « aller de mal en pis ». Toutefois, il est à noter que Charybde ne se prononce pas « chat » mais « ka ».
    21. ^ Equivalents espagnol et anglais de « Trois (parfois quatre) pelés et un tondu » et « Il n'y a pas la queue d'un chat » : « Hay cuatro gatos » et « There is hardly a soul there ».
    22. ^ Equivalents français et espagnol de « It rains cats and dogs » : « Il pleut des cordes » et « Llueve a cántaros ». L'explication de cet idiotisme anglais serait qu'au Moyen Âge, les fortes pluies nettoyaient les toits des corps des chats et chiens morts, les faisant alors tomber dans la rue. J'ai également lu que cela aurait à voir avec le fait que les chiens et les chats dormaient sous les toits de chaume qui s'éffondraient avec les fortes pluies, entrainant les animaux dans leur chute. Mais au final, personne ne sait vraiment ce qui a donné naissance à cette expression très saugrenue.
    23. ^ Virelangue : phrase difficile à prononcer servant d'exercice d'élocution. Que votre langue ne fourche sinon gare au matou !
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    1
    Zwyn
    Mercredi 18 Septembre 2013 à 09:40

    Chat à lord

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    2
    Mercredi 18 Septembre 2013 à 10:22
    Hélios22

    Extra ! Beau travail de recherche. Je ne savais pas pour ta connaissance de l'espagnol.

    Tu retrouveras ton articl ic -----> BBB.

    3
    Mercredi 18 Septembre 2013 à 18:01

    Ma connaissance de l'espagnol est très sommaire. Muchas gracias al BBB.

    4
    Chantalouette
    Mercredi 18 Septembre 2013 à 21:31

    Merci pour ce texte très bien tournée.

    C'est vrai que les chats anglais ne sont pas toujours bien traités, c'est dans un roman de Kipling (Stalky and Co) que j'ai découvert, il y a des années, l'expression: "to shoot the cat"  pour dire qu'on rejete le contenu de l'estomac.

    Et c'est ce weekend que j'ai appris une expression française (ou auvergnate?) équivalente: "faire les chiens".

    Amitiés

     

    5
    Jeudi 19 Septembre 2013 à 00:09

    Tiens je ne connaissais pas l'expression "shoot the cat" sinon je l'aurais ajoutée au scénario ni celle de "faire des chiens". On apprend beaucoup sur les mentalités dans les expressions et je compte remettre ça. Ma préférée c'est "en catimini" qui n'a rien à voir mais phonétiquement  (et dans l'attitude) ça me fait penser aux chats.

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