• « Je suis hypocrite ? » Liberté d'expression sélective et inquisition laïque en France

    Article de Matthew Butler traduit par Ey@el

    Available in English

    J'imagine que vous en avez soupé du Charlie et des fâcheux événements dont on ne fait plus que parler en ce début d'année (ainsi que toutes les dérives bien prévisibles qui n'auront pas manqué de suivre) et ce, tout en continuant soigneusement d'ignorer les victimes collatérales (des enfants) — encore plus innocentes qui meurent chaque jour en plus grand nombre et sans funérailles nationales — des jeux de guerre de ces insatiables sanguinaires qui s'estiment dans leur bon droit d'appliquer ad infinitum la loi insensée du talion. Alors loin de moi l'intention d'en rajouter une couche pour suivre la mouvance médiatique — vous devriez savoir, depuis le temps, que ce n'est point le genre de la maison.

    Si j'ai passé plusieurs soirées à traduire et annoter ce long article fort instructif du Conscious Reporter, c'est parce que je trouve que ses réflexions bien documentées et sa vision réaliste de la laïcité en France apportent un éclairage nouveau à la situation dans notre pays. En tout cas, il m'a fait prendre conscience d'un certain nombre de choses que je ne voyais pas forcément sous cet angle alors que je devrais pourtant pour avoir vécu dans un autre pays où tout a toujours été bien différent en la matière (mais pour combien de temps encore ?).

    Dois-je prendre la peine de préciser aussi que cette publication n'a pour unique but que de solliciter votre réflexion personnelle en attirant votre attention sur certains détails qui ont leur importance et dont les médias nous ont sciemment détournés comme trop souvent dans ce genre d'affaire. Il est certes plus facile de taxer à tout va de théoriciens du complot tous ceux qui remettent en cause les versions officielles mais bien plus difficile, sans doute, de répondre aux questions toutes simples et légitimes que l'on devrait réellement se poser avant d'aller défiler en troupeaux dans les rues quand ce n'est même pas l'époque de la transhumance. Qui se souvient de l'histoire du Petit Poucet ? Qui a entendu parler des tragédies grecques ? Qui a lu Shakespeare ? Qui sait encore ce qu'est un Deus ex machina ? Il n'est toujours pas trop tard pour se (re)mettre à lire.

    Ey@el

    Les attentats barbares de Paris ont été condamnés à juste titre. Pourtant cette tragédie a été exploitée afin de fausser le droit même de ce dont elle est devenue l'emblème — à savoir la liberté d'opinion — tous les détails contredisant la version officielle des faits ayant été étouffés. Cet article examine la défense sélective de la libre parole à la suite des événements et comment la répression de longue date menée par le gouvernement français viole le principe de liberté qu'il prétend défendre.

    La France est connue en tant que terre de liberté, d'égalité et de fraternité. Le meurtre brutal de douze personnes dans les bureaux du journal satirique Charlie Hebdo, ainsi que cinq autres au cours des fusillades liées à cet attentat, a été perçu comme une attaque directe aux valeurs du pays. Charlie Hebdo est réputé pour sa satire politique qui fait la fierté de la France avec ses dessins caricaturant souvent des politiciens et des personnages religieux dont Mahomet, le prophète de l'Islam.

    L'Islam interdit de le représenter sous aucune forme que ce soit et encore bien moins de le ridiculiser1. En ce qui concerne les attentats à Charlie Hebdo, la tradition parisienne de liberté d'expression et de satire politique se serait apparemment heurtée à l’extrémisme islamique. Les hommes armés, qui ont tué dix personnes plus deux policiers avant d'être traqués et abattus par les forces de l'ordre, auraient crié, en quittant les lieux, qu'ils avaient « vengé Mahomet » que le journal avait représenté nu dans une pose pornographique.

    En occident, cet attentat est devenu l'emblème de la cause du discours libre, le consensus initial étant que ce dernier est un droit inconditionnel ne devant comporter aucune exception et qu'elle s'étend au droit d'offenser. Le slogan « Je suis Charlie » a été adopté par les partisans de cette liberté à la suite des événements qui a vu des millions de personnes se regrouper pour entamer des marches pacifistes à travers la France pour défendre ce droit à la satire. Charlie Hebdo a riposté par une nouvelle représentation de Mahomet en couverture de sa première édition après le massacre qui s'est vendue à des millions d'exemplaires supplémentaires dans un élan de solidarité envers cette cause.

    Mais, après la tragédie, le prétendu engagement des médias et de l'élite politique à accepter de manière inconditionnelle cette liberté d'opinion s'est avéré très sélectif et hypocrite. Une version des faits a été instaurée pour les besoins d'un plan en prenant soin d'écarter toute contradiction flagrante. Tandis que les dirigeants et les grands médias se rallient derrière la bannière de cette liberté, on accorde bien peu d'attention au fait que la France compte parmi les pays occidentaux dont les lois portant sur l'expression de la spiritualité sont les plus restrictives et que celles qui régissent la liberté d'opinion sont appliquées de façon inégale. Cette cause du droit d'expression s'accompagne de nombreuses mises en garde dans la « République de la Liberté » où le gouvernement se livre à une inquisition laïque peu connue contre des hérétiques modernes dont on étouffe le droit d'exprimer librement leurs croyances.

    Avant d'observer ces restrictions, examinons l'historique et le contexte des attentats à Charlie Hebdo qui ont donné lieu à cette version des faits balayant toutes les contradictions flagrantes à mesure qu'elle se répand.

    La règle des deux poids deux mesures appliquée par l’Élite mondiale en matière de liberté d'expression

    Comme signe évident de l'hyper-sélectivité et de la duplicité de l'élite mondiale en ce qui concerne son adoption de la liberté d'expression, il y a eu cette séance photo pour laquelle ils se sont joints bras dessus bras dessous à la manifestation parisienne. Ces dirigeants n'ont en fait pas participé à la marche avec le public comme il a été rapporté mais ont défilé séparément. Parmi eux se trouvaient des représentants de régimes avec un passif épouvantable en matière de libre parole. Comme, par exemple, l'Arabie saoudite, un allié de l'OTAN qui décapite bien plus de personnes que l'ISIS2  et punit violemment toute dissidence, ainsi que le gouvernement égyptien qui a été mis en place par le biais d'un coup d'état et détient actuellement des journalistes étrangers prisonniers.

    Certains gouvernements présents dans cette marche se sont déplacés afin d'accélérer la mise en place de mesures de surveillance accrues sur Internet suite à la tragédie, le Premier Ministre britannique, David Cameron, voulant même faire interdire les systèmes de cryptage. La surveillance de masse ne contribue pas à la liberté d'expression. Pas plus que punir ceux qui dénoncent les méfaits de l'état comme c'est le cas en Amérique avec les sonneurs d'alarme. Et bien que les gouvernements et les services de renseignement exigent l'octroi de pouvoirs supplémentaires pour éviter de tels attentats, ils sont incapables d'expliquer en quoi le fait d'espionner tout le monde permettra de contrecarrer des individus qu'ils surveillent déjà. Les auteurs de l'attaque étaient bien connus des services de renseignement et déjà sous surveillance. Dans le cas du FBI, la plupart des complots terroristes qu'ils déjouent ont été financés et organisés par eux-mêmes.

    On s'interroge sur la version officielle

    Les hommes armés du Charlie Hebdo étaient revenus en France après avoir participé à la guerre civile en Syrie contre le gouvernement Assad — celui-là même qu'il y a deux ans, les membres de l'OTAN (y compris le gouvernement français) voulaient bombarder et renverser. L'appui en faveur d'une intervention directe ayant faibli, le gouvernement américain et ses alliés se sont donc rabattus sur une guerre par procuration en armant, entrainant et finançant à cet effet des « rebelles modérés » rattachés aux djihadistes. Dans bien des cas, ces mêmes militants qu'ils ont formés et les armes qu'ils leur ont procurées ont rejoint les rangs de l'ISIS, se faisant désormais appeler État Islamique et engagé, lui aussi, dans la lutte contre le gouvernement syrien. Combattre l’État Islamique a, une nouvelle fois, permis à l'OTAN de justifier son intervention militaire immédiate dans la région avec des frappes aériennes pour interrompre leur progression. Pourtant, même quand d'un côté l'ISIS se faisait bombarder en Irak et en Syrie, de l'autre les militaires américains continuaient à former des militants du Djihad tout en infligeant de lourdes pertes à l'ISIS et à Al-Qaïda.

    Mettre en doute la pertinence de cette politique étrangère consistant à mener des guerres de substitution en armant des militants qui entretiennent des liens avec les djihadistes et qui, plus tard, deviendront des ennemis terroristes — un précédent pour lequel il faut remonter aux années 70 lorsque le gouvernement américain soutint les moudjahidines qui donnèrent naissance à Al-Qaïda — n'a pas constitué un aspect important de la couverture médiatique des événements alors même que ces pratiques d'armement, formation et financement des militants djihadistes se poursuivent encore en secret. Au lieu de cela, les gouvernements et les services de renseignement impliqués dans ces manœuvres clandestines contestables réclament davantage de pouvoirs, de lois restrictives et de financements pour combattre les terroristes soutenus par leur politique étrangère.


    © Krapo

    Cliquer sur l'image pour agrandir

    Pas plus qu'il n'a été fait grand usage de la liberté d'expression dans les médias pour remettre en cause la version officielle des attentats parisiens en investiguant sur les raisons et les circonstances du suicide soudain et inexpliqué du commissaire chargé de l'enquête alors qu'il était en train de rédiger son rapport et pourquoi des tueurs professionnels ont, comme par hasard, oublié leurs papiers à l'arrière du véhicule dans lequel ils ont pris la fuite, ou encore tout simplement comment on a pu permettre aux auteurs présumés de perpétrer un attentat sur le sol français alors qu'ils revenaient d'une zone de guerre intermédiaire de l'OTAN et qu'ils figuraient sur une liste de terroristes à surveiller. Il y encore d'autres détails écartés comme cette vidéo qui montrerait un policier qui n'aurait pas été exécuté d'une balle dans la tête tirée à bout portant comme l'ont rapporté les grands médias et qui aurait été censurée par le « mode sécurisé » de YouTube (voir Articles connexes) tandis qu'en France, elle aurait été carrément supprimée par Google.

    Ce sont ces nombreuses anomalies qui ont conduit certains à suspecter que ces attentats pourraient relever d'un plan de plus large envergure et de postuler qu'il pourrait s'agir d'une opération menée sous une fausse bannière imputée à deux militants nés en France et formés à la guerre de substitution en Syrie ayant servi de « boucs émissaires ».

    En tout cas, il est évident que la version officielle des faits a été solidement contrôlée et exploitée pour servir à l'établissement d'un agenda alors que d'autres faits et mesures discutables prises par le gouvernement ont été écartés.

    Il apparait également clairement que la cause de la « liberté d'expression » a été détournée et manipulée par ceux-là même qui agissent à l'encontre de ce principe ou qui l'appliquent de manière très sélective. Cela saute aux yeux de manière flagrante si l'on se réfère aux deux poids deux mesures et aux restrictions s'appliquant à la liberté d'expression spirituelle en France et qui s'avèrent être parmi les plus sévères en occident.

    Liberté sélective : libre parole, discours haineux et expression religieuse

    En France, ce sont les mêmes dispositions en matière de droits humains qui protègent à la fois la liberté d'opinion et la liberté d'expression religieuse :

    Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites.
    Article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme

    La France [...] assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens [...] Elle respecte toutes les croyances.
    Article 2 de la Constitution de la Cinquième République française

    La France s'est beaucoup faite critiquer en 2004 pour sa loi interdisant tout affichage de signe religieux ostensible dans les écoles publiques. Bien que connue sous le nom de « défense de port du foulard », elle s'applique au port de tout vêtement ou accessoire de type religieux comme le crucifix ou le turban sikh dans les établissements scolaires. L'interdiction de se couvrir le visage, introduite en 2012, va encore plus loin en prohibant le port du voile pour les Musulmans dans tous les lieux publics. Cette législation ne fait pas référence uniquement au voile musulman mais il a été largement entendu qu'elle avait été rédigée dans cette finalité.

    Les associations de défense des droits de l'homme ont critiqué ces deux lois comme portant atteinte à la liberté d'expression religieuse. Quoi que l'on pense d'une religion en particulier ou du voile, quand on préconise la liberté d'expression même dans sa forme satirique, il est hypocrite d'estimer qu'il est acceptable de dénigrer publiquement une religion mais que d'exprimer pacifiquement ses croyances religieuses dans un lieu public ne l'est pas.

    Ces doubles normes apparaissent également au niveau de l'application sélective des lois et des conventions sociales sur le discours haineux. Une semaine après avoir soutenu le droit à la satire, le gouvernement français a arrêté 54 personnes pour commentaires insultants (et non des actes) jugés comme « prenant la défense » ou « faisant l'apologie » du terrorisme.

    Glenn Greenwald de l'Intercept3 a suscité de nombreuses réactions en soulignant que les caricatures les plus radicales publiées par Charlie Hebdo  seraient certainement considérées comme relevant du discours haineux si elles visaient le judaïsme. Pour démontrer ce point, la publication en ligne a tenté de trouver un dessinateur volontaire pour « créer des caricatures se moquant du judaïsme et  calomniant des symboles sacrés pour les Juifs tout comme l'a fait Charlie Hebdo envers les Musulmans » mais aucun n'a voulu le faire parce que « au minimum, cela détruirait aussitôt et irrémédiablement leur carrière ».

    Par la suite, Greenwald a évoqué l'hypocrisie du gouvernement pour son arrestation d'un humoriste français satirique pour ses opinions controversées après avoir justement défendu ce droit à la satire :

    La France est sur le point de faire de Charlie Hebdo un symbole légitime de liberté d'expression alors que ce dernier a renvoyé un de ses rédacteurs, en 2009, pour une simple petite phrase soi-disant antisémite au beau milieu d'une orgie de contenus anti-musulmans (et non juste anti-islamiques). Cette semaine de célébration de la France — et de la bande de dirigeants tyranniques qui s'y sont joints — n'avait pas grand chose à voir avec la liberté de parole et davantage à voir avec la suppression d'idées qui leur déplaisent tout en vénérant celles qu'ils préfèrent.

    Peut-être préfèrent-ils certaines idées parce qu'elles encouragent et valident une guerre sans fin contre la terreur ?

    Le débat sur la question de savoir si l'on devrait imposer des limites à la liberté d'expression et s'il faudrait établir des lois réprimant les « discours haineux » à cet effet, ne date pas d'aujourd'hui et les opinions peuvent être prises en compte sans pour autant faire l'apologie de la violence. Quel que soit le point de vue adopté, la plupart s'accordent volontiers que toute loi existante devrait être appliquée de la même manière et sans discrimination aucune. C'est être hypocrite que de tolérer et célébrer la calomnie dans un cas tout en la réprimant dans un autre. L'égalité devant la justice est un autre droit fondamental que les nations occidentales sont censées protéger au même titre que la liberté d'expression.

    Inquisition laïque visant d'autres groupes spirituels

    Certes, il existe en France un autre domaine où est appliquée la règle des deux poids deux mesures dont on se soucie moins et qui porte sur le traitement discriminatoire de petits groupes spirituels pris pour cible et harcelés par les grands médias et le gouvernement. La France pratique ce qui ne se fait plus dans aucun pays occidental depuis l'Inquisition, à savoir établir une distinction entre les croyances qui sont acceptables et celles qui ne le sont pas, essentiellement par l'établissement d'une liste noire des « sectes déviantes ».

    En 1996, sept membres du parlement français ont publié une liste de 172 « sectes » présumées qui fut alors fortement critiquée par les institutions gouvernementales internationales comme étant une liste noire de mouvements religieux. En 2005, le Premier Ministre français a adopté une circulaire stipulant que cette liste n'avait aucune valeur légale et ne devrait plus être utilisée. Toutefois, à ce jour, elle sert toujours à certains hauts fonctionnaires et bien sûr aux journalistes et à la police.
    European Interreligious Forum for Religious Freedom (EIFRF)

    Le mot « secte » est le terme péjoratif équivalent à l'étiquette « culte » utilisée dans les pays anglo-saxons. Beaucoup en ayant été affublés sont considérés, dans d'autres pays, comme de grands groupes religieux. Du fait que cette liste noire ait été largement diffusée, les personnes impliquées dans ces groupes risquent de voir leur liberté de croyance et de réunion restreinte sur bien des plans. Selon Droits de l'homme sans frontières4 :

    Ces groupes ont subi des descentes de police et d'escadrilles militaires, leurs bureaux ont été perquisitionnés, leurs dirigeants arrêtés et ils se sont vus interdire de prendre part aux fêtes locales et de louer des salles de conférence. Bon nombre de leurs membres, tous citoyens français, ont perdu leur emploi ou se sont vus refuser un avancement après que leur affiliation à une présumée secte ait été dévoilée.
    Droits de l'homme sans frontières

    L'EIFREF (Forum européen inter-religieux pour la liberté de culte) rapporte que des parents ont perdu la garde de leurs enfants en raison de leurs convictions considérées comme hérétiques aux yeux de l’État, que des personnes ont été poussées au suicide à force d'être harcelées et que des lieux de culte ont été saccagés en toute impunité, les auteurs de ces actes de vandalisme se sentant protégés par la « mauvaise réputation »  attribuée à ces groupes par le gouvernement.

    Un distinction légale entre les « bonnes » et « mauvaises » croyances a été adoptée par la la loi About-Picard en 2001, connue également sous le nom de loi anti-secte ou loi anti-culte, cherchant à différentier une religion acceptable d'une secte, ce qui s'avère discriminatoire et arbitraire. Dans un pays « libre », le gouvernement n'a ni à évaluer ni à contrôler la légitimité des convictions. Bien que tout soit fait au nom de la laïcité, cela va en fait à l'encontre de ses principes mêmes, la séparation de l'église et de l’État s'appliquant dans les deux sens et étant également censée s'assurer que le gouvernement n'entrave pas les libertés religieuses des particuliers. La laïcité en France est passée de la séparation de la religion de l'état à une croisade pour isoler complétement les convictions hérétiques de la société.

    Cette fibre anti-religieuse y existe depuis fort longtemps ; il faut remonter à la révolution française avec son régime de terreur et la suppression des religions. Le paradoxe est que cet État laïque soi-disant éclairé a pris exemple sur le modèle de l'inquisition médiévale pratiquée par l’Église qu'il a renversée. De nos jours, les groupes soi-disant « sectaires » sont traités comme des hérétiques des temps modernes sous ce qui s'apparente grossièrement à une inquisition laïque imposée par un organisme gouvernemental, le MIVILUDES, avec le soutien des médias. Le nom orwellien complet de cet organisme est « Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires ». D'après l'EIFREF :

    Au fil des ans, le MIVILUDES s'est investi dans de nombreuses campagnes non seulement à l'encontre de nouveaux mouvements religieux visés en tant que « sectes » mais également contre de petites communautés issues d'anciennes religions aussi bien catholiques, protestantes, évangéliques ou autres. Il a même organisé des incursions dans ces communautés, arrivant avec des journalistes en émettant des commentaires désobligeants afin de servir leur cause qui consiste à les ériger en « mouvements sectaires ».
    [...] que l'on puisse penser que cela ne s'applique qu'aux nouveaux groupes, à de petits groupes atypiques relevant du New Age, du Satanisme ou de n'importe qu'elle religion mineure et se dire que « cela n'arrivera qu'aux autres ». En réalité, le MIVILUDES et les associations anti-sectes ciblent également les communautés catholiques, les Chrétiens évangélistes, les Hindous parmi tant d'autres qu'ils considèrent comme des « sectes ». Une secte est une religion dont on veut se débarrasser.

    En 2009, au cours de la première conférence du MIVILUDES, le Premier Secrétaire d’État français a comparé les groupes accusés de « déviances sectaires » à des « virus mutants ». Selon le gouvernement, on est coupable de « déviance » lorsque l'on se livre à de la « manipulation mentale », ce qui est le cas lorsque « une ou plusieurs personnes se mettent à croire en certains concepts qui diffèrent de ceux généralement admis par la société ».

    Songez un instant combien ceci entre en contradiction avec le soutien présumé du gouvernement envers la liberté d'expression même lorsqu'il s'agit de satire — on est coupable de « déviance » dès lors où l'on exprime des croyances et des idées qui s'écartent du statu quo et si « une ou plusieurs » personnes partagent vos convictions, le gouvernement peut effectuer une descente chez vous et détruire votre vie.

    Évidemment, ces mesures ne sont pas sans rappeler celles des régimes autoritaires. Le concept vague de « manipulation mentale » en France a connu un précédent avec la loi délit de « plaggio » décrétée par Mussolini en Italie, en 1930, dont il se servit pour cibler les opposants politiques et les dissidents accusés d'« assujettissement » psychologique d'autrui.

    Une fois adoptées, les lois françaises anti-sectes furent largement soutenues par la Chine qui ne cautionne que cinq religions sous son contrôle et exerce une répression sur tout autre groupe que son gouvernement qualifie de « sectes diaboliques ». Comme l'a rapporté le Washington Post en 2001 :

    Les dirigeants communistes chinois ont fini par trouver un modèle de droits de l'homme à l'occidentale qui leur plaise : la nouvelle loi française anti-secte qui fait de la « manipulation mentale » un crime. Le Tung Chee-Hwa5 de Hong Kong a dit qu'il était en train d'étudier le précédent français pour éventuellement s'en servir contre le mouvement Falun Gong (voir Articles connexes) parce qu'il présente « plus ou moins les caractéristiques d'une secte maléfique » ; il s'est engagé à « à surveiller de près leurs moindres mouvements ». Les autorités de Chine continentale ont déjà sévi contre ce groupe ainsi que d'autres pratiquants spirituels et religieux opposant une résistance à ce que le gouvernement contrôle de leur pensée.

    Les responsables chinois triomphent auprès des universitaires américains, vantant la loi française comme une manifestation partielle de l'attitude très critiquée de la Chine en matière de droits de l'homme. Ils se réjouissent en précisant qu'à l'Assemblée Nationale en France, cette mesure a été votée à l'unanimité et avec un très large soutien du public.
    (Source)

    Lorsque les lois de la « République de la Liberté » sont approuvées par un gouvernement communiste autoritaire qui persécute les minorités religieuses en leur prélevant leur organes, il y a effectivement un problème.

    Liberté, égalité, fraternité ?

    Depuis les attentats à Charlie Hebdo, on vante soi-disant la liberté d'expression, mais quand d'un côté le gouvernement défend activement le droit à la « satire », de l'autre il réprime l'expression des croyances, des idées et des opinions qu'il estime déplacées.

    Il semble qu'on exalte les points de vue qui jouent le jeu de la version arrangée du « choc des civilisations » et de la « guerre contre le terrorisme » à l'échelle mondiale, peu importe leur caractère calomnieux, tandis que toute expression équivalente dirigée ailleurs se voit muselée sous l'étiquette de « discours haineux ». Et lorsque, dans cette société, la « libre parole » calomnie un groupe ou des idées que l'élite veut critiquer, comme les « sectes », on la célèbre et le gouvernement vote même des lois pour exercer une discrimination sélective et réprimer ces derniers qu'il considère offensants avec l'appui des médias populaires, faisant ainsi entrave à leur liberté d'expression. Lorsque l’État et l'appareil médiatique répriment activement et harcèlent des groupes de minorités religieuses au titre de délit d'opinion — telles les hérétiques d'une inquisition moderne — le gouvernement se montre-t-il à la hauteur de sa devise de « liberté, égalité, fraternité » ?

    En France, on traite toutes les personnes, toutes les croyances et toutes les idées de façon égale mais il semble que certaines soient plus égales que d'autres.

    Même si son soutien envers la liberté d'opinion est hautement sélectif et soumis à condition, la France n'est pas la seule, en occident, à appliquer deux poids deux mesures lorsqu'il s'agit d'exprimer librement ses croyances et idées dès qu'elles sortent du cadre du statu quo. On retrouve le même genre de répression dans d'autres pays occidentaux qui fomentent la peur et la paranoïa envers toute autre forme de spiritualité en s'appuyant sur les médias et en exploitant des drames isolés à caractère douteux pour alimenter une opposition à grande échelle. Il en résulte que des minorités se retrouvent mises dans le même panier par les actes de quelques-uns et traitées d'une manière qui ne serait jamais acceptée pour les groupes favorisés au sein de la société. Ces attitudes et ses doubles normes sont répandues en occident ; la France n'a fait que franchir une nouvelle étape en transformant ce préjudice en loi.

    À moins que les lois et les conventions sociales relatives à la liberté d'expression, au discours haineux et la possibilité d'exprimer librement ses convictions religieuses ne s'appliquent à tous en occident, toutes nos revendications comme celles d'être le bastion des libertés et du droit d'expression ne voudront plus dire grand chose.

    Traduit de l'anglais par Ey@el
    © lapensinemutine.eklablog.com

    Notes et références

    1. ^ En fait, selon cet article que je vous invite à lire, la caricature ne serait pas interdite en Islam mais plutôt dans la Bible.
    2. ^ ISIS est l'acronyme anglais pour État islamique en Irak et al-Sham (qui signifie Irak en arabe).
    3. ^ The Intercept est la première publication de First Look Media, la plateforme journalistique créée et financée le fondateur d’EBay, Pierre Omidyar. The Intercept poursuit deux missions. À court terme, le magazine doit servir de plateforme pour présenter les documents sur la NSA révélés par Edward Snowden et ainsi poursuivre la publication d’enquêtes sur la surveillance globale par les États-Unis. À plus long terme, il vise à développer un média généraliste dédié à la pratique d’un journalisme d'investigation « courageux, combatif et abordant des problématiques plus vastes : abus, corruption financière et politique, ou violation des libertés civiles ». Le site propose à ses « sources » une fonction anonyme et sécurisée de dépôt de fichiers similaire à WikiLeaks, basée sur une solution open-source SecureDrop développée par Aaron Swartz et gérée par la Freedom of the Press Foundation. (Source)
    4. ^ L'association Droits de l’homme sans frontières (HRWF) est une organisation non gouvernementale créée à Bruxelles en 1989 sous forme d'une association sans but lucratif, qui s'est fixée pour mission de promouvoir et défendre les droits de l'homme, les principes de l'État de droit et la démocratie.
    5. ^ Tung Chee-Hwa est le premier chef exécutif de la Région administrative spéciale de Hong Kong en République populaire de Chine.

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