• Le wokisme est au service du totalitarisme

    Article de Thorsteinn Siglaugsson traduit par Ey@el

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    La fraternité qui s'établit entre les opprimés et les persécutés ne dure jamais, affirme l'historien britannique et théoricien de l'art Simon Elmer dans son nouvel ouvrage intitulé The Road to Fascism - For a Critique of the Global Biosecurity State (la Voie du fascisme - une critique de l'état bio-sécuritaire mondial).

    Il poursuit en citant la philosophe Hannah Arendt : « L'humanité des humiliés et des offensés n'a encore jamais survécu plus d'une minute à l'heure de la libération. Cela ne signifie pas que c'est sans importance, parce qu'en fait cela rend l'humiliation et l'offense supportables ; mais que sur le plan politique, ce n'est absolument pas pertinent. »

    Ce qui, selon Elmer, doit remplacer la fraternité, maintenant que les pires mesures d'oppression de l'ère du Covid se sont atténuées, du moins temporairement, c'est l'amitié ; mais pas au sens moderne du terme.

    Dans The Road to Fascism, Elmer fait valoir qu'actuellement, les sociétés occidentales se dirigent rapidement vers le totalitarisme fasciste, propulsé par la quatrième révolution industrielle et poussé par les oligarques et le pouvoir bureaucratique.

    Après la chute de l'Union soviétique, nous sommes devenus inconscients des dangers du totalitarisme qui n'est pas issu de la gauche ; le libéralisme naïf de ces dernières décennies nous y a rendus aveugles.

    Elmer rejoint l'avertissement de Hayek dans The Road to Serfdom (la Voie de la Servitude) en ce que la plus dangereuse forme de fascisme est celle pilotée par les technocraties internationales qui pourraient « facilement exercer le pouvoir le plus tyrannique et irresponsable que l'on puisse imaginer […] Et comme il n'y a pratiquement rien qui ne pourrait se justifier par des "nécessités techniques" qu'aucun tiers pourrait véritablement contester — ni même par des arguments humanitaires concernant les besoins de certains groupes particulièrement défavorisés qu'on ne pourrait aider autrement — il y a guère de chance de contrôler ce pouvoir ».

    Et prenons conscience qu'ici Hayek n'envisage même pas la possibilité d'une étroite collaboration entre les technocraties internationales et les oligarques monopolistiques que nous voyons aujourd'hui.

    Elmer prétend que le soutien de la gauche aux mandats et régulations de l'état bio-sécuritaire ne se basent pas sur son autoritarisme inhérent comme beaucoup, à droite, le pensent, mai plutôt sur son « infiltration par le biais des idéologies néolibérales du multiculturalisme, du politiquement correct, des politiques identitaires et, plus récemment, des orthodoxies woke ».

    Il souligne, à juste titre, que « la déplateformisation, la culture de l'annulation, la misogynie […] la police de la parole et de l'opinion » ne sont pas liées aux « politiques d'émancipation, à la lutte des classes ou à la redistribution des richesses » ; il n'y a vraiment rien de socialiste, au sens traditionnel du terme, dans ces symptômes d'idéologie totalitaire.

    Cela semble en directe opposition avec l'idée généralement admise , du moins au sein de la droite, que le wokisme est, par essence, de gauche et issu de l'infiltration socialiste de la société conformément à la « longue marche à travers les institutions » de Dusche (et Gramcii). Où Elmer essaie-t-il donc d'en venir ?

    Citant le slogan nazi « Kraft durch Freude » (la force par la joie), à son avis, c'est le « rêve d'un peuple unifié, la commémoration des héros tombés au champ d'honneur » que l'on retrouve derrière le salut fasciste, derrière la soumission volontaire à un dirigeant ; c'est sur le kitsch que se fonde l'esthétique du totalitarisme.

    Elmer n'est pas le seul à le penser. Selon la théoricienne d'art Monica Kjellman-Chapin, le kitsch, l'art mécanique, vite consommé, suscitant de fausses sensations peut « facilement être déployé par les régimes totalitaires comme mécanisme de contrôle et de manipulation […] imprégné de propagande ».

    Dans The Unbearable Lightness of Being (l'insoutenable légèreté de l'être), Milan Kundera écrit : « le kitsch fait couler deux larmes l'une à la suite de l'autre. La première dit : "Quel plaisir de voir des enfants courir dans l'herbe !" La seconde dit : "Quel plaisir de s'attendrir, avec le reste de l'humanité, sur des enfants courant dans l'herbe !" C'est la deuxième larme qui rend le kitsch kitsch. La fraternité des hommes sur Terre ne sera possible qu'en se fondant sur du kitsch. »

    Le wokisme, dit Elmer, est l'équivalent moderne du kitsch. S'agenouiller, applaudir les soignants, se masquer, et en général obéir à des ordres absurdes pour « le bien de tous » ou comme c'est probablement davantage le cas, uniquement pour sauver les apparences, est, par essence, la même chose que s'attendrir avec le reste de l'humanité sur des enfants courant dans l'herbe.

    Et cette solidarité, qui au final est une fausse solidarité, est également une force motrice lorsque la meute se tourne contre ceux qui ne se conforment pas, contre les non-vaccinés, contre ceux qui refusent de « s'agenouiller », contre ceux qui ont le courage de contrarier et confondre le narratif admis. Par exemple, un homme noir portant un tee-shirt avec le slogan « White Lives Matter » (les vies blanches comptent). Parce qu'en essence, le wokisme, tout comme le kitsch, repose sur l'exclusion ; les plus cruels sont souvent les plus sentimentaux.

    Elmer souligne comment, durant les confinements, les manifestations en accord avec l'idéologie woke étaient non seulement tolérés mais applaudis tandis que ceux qui protestaient contre les confinements et les obligations pour protéger leurs moyens de subsistance, étaient pourchassés, condamnés à une amende ou incarcérés.

    La raison, dit-il, est que le wokisme ne constitue pas une menace pour les autorités ; il s'agit d'adhésion puritaine aux orthodoxies et rituels, il est anti-révolutionnaire mais « considère le marché comme seul point de référence pour le changement », et surtout, il fournit « l'occasion d'imposer et de développer des restrictions à la liberté d'expression et aux libertés individuelles, ce qui constitue une étape fondamentale sur la voie vers le fascisme. […] En un mot, en facilitant la construction du totalitarisme de l'État bio-sécuritaire mondial par le capitalisme, le wokisme n'a rien de libéral et encore moins de socialiste. Le wokisme est fasciste. »

    Une des caractéristiques essentielles de l'idéologie woke est son mépris absolu de la raison — de la pensée rationnelle. Et cela se voit, sans doute plus explicitement, dans les absurdités autour du narratif sur le Covid-19. Pour les wokes, tout ce qui importe est leur propre perception personnelle, leur expérience subjective.

    Mais dans un monde où toute signification est privée, il ne peut y avoir de sens ; un langage privé est impossible dit Wittgenstein, car son auteur ne le comprend pas lui-même. Dans un sens plus général, nous pourrions envisager la définition du bon sens de Hannah Arendt comme notre perception commune du monde et que cette perception commune dépend d'un langage commun, d'histoires communes et d'un mode de pensée commun ; sans ces derniers, la société n'existe plus.

    Comme le souligne Elmer et d'autres avant lui, dont Arendt, l'atomisation est l'une des principales conditions préalables au maintien d'une société totalitaire. C'est ce qu'avait compris Staline lorsqu'il entreprit de dissoudre tous les clubs et cercles libres — même les clubs d'échecs ne furent pas épargnés. Pour exercer vraiment un pouvoir totalitaire, il faut isoler les gens les uns des autres, leur retirer la possibilité de créer des liens sociaux.

    Le wokisme est ainsi un principe extrêmement important de la nouvelle société fasciste imminente que craint Elmer, non seulement ses signes visibles comme l'obéissance des masses au masque obligatoire et aux confinements, mais pas moins dans l'atomisation basée sur le refus du bon sens commun, une conséquence directe du relativisme radical qui n'accepte de valider que l'expérience individuelle subjective.

    Et comme un changement sociétal induit par le peuple, qu'il soit révolutionnaire ou non, repose sur la capacité à se rassembler, à échanger des idées et à planifier des actions, nous voyons à quel point il peut être destructif à ce type d'initiative, qu'elles viennent de gauche ou de droite ; c'est une antithèse de la vraie vie politique. Et il va sans dire que dans une société gouvernée par la relativité radicale de l'idéologie woke — si l'on peut encore qualifier une telle chose de société — il ne peut y avoir de lois et par conséquent de droits de la personne.

    La discussion d'Elmer sur l'idéologie woke n'est qu'une partie, même si elle demeure centrale, de son analyse étendue du fascisme et de ses fondements, et des signes de sa résurgence imminente. Il s'appuie sur les caractéristiques du fascisme « éternel » d'Umberto Eco, fournit une analyse critique de la définition du fascisme d'Hayek, explique et clarifie le cadre théorique complexe d'Agamben étayant sa vision de l'état de l'homme moderne en tant qu'homo sacer – exclus mais soumis au pouvoir absolu — au sein de l'état bio-sécuritaire, plonge dans le développement technologique permettant la surveillance constante par les autorités et conclut que si rien n'est fait, nous allons droit vers un nouveau type de fascisme totalitaire auquel il risque de n'y avoir aucune échappatoire.

    Le fait que son analyse s'appuie sur une perspective socialiste plutôt que de droite, devrait renforcer l'importance de son livre qui pourrait bien apporter les fondements indispensables à un débat critique sur les événements récents chez les intellectuels de gauche, du moins ceux qui ont toujours l'esprit ouvert.

    Vers la fin de son ouvrage, Elmer évoque l'ancien concept grec de l'amitié comme issue possible. Pour les Grecs de l'Antiquité, dit-il, l'amitié entre les citoyens (philia) était essentielle au bien-être de la cité-État (polis), et c'est précisément sur cela que l'idée de démocratie occidentale est basée.

    Ce concept d'amitié est différent de ce qu'il signifie habituellement lorsque nous parlons d'amitié aujourd'hui. Nous voyons l'amitié comme l'intimité que nous recherchons pour éviter l'aliénation provoquée par la révélation continuelle de nos vies privées, écrit Elmer.

    L'amitié est donc présente uniquement dans notre vie privée et non dans notre vie publique en tant que membres de la société et participants au débat politique. Mais avec les Grecs de l'Antiquité, les citoyens n'étaient unis qu'au sein de la cité-État par de continuels débats et conversations. L'essence de l'amitié repose sur la réunion et la discussion des problèmes de la société, non sur la communication personnelle et la conversation sur nous-mêmes avec ceux qui nous sont proches, mais sur un dialogue basé sur nos intérêts communs en tant que citoyens et participants à la société.

    Selon Elmer, c'est ce genre d'amitié, ce lien qui se forme entre les citoyens actifs responsables qui peut et doit remplacer la fraternité de ceux qui sont attaqués par le musellement, la censure, le confinement et autres méthodes d'oppression.

    Traduit de l'anglais par Ey@el
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