• No Logo, la tyrannie des marques

    Article d'Onno Maxada

    Comme je le disais dans mon récent coup de gueule suite à son invasion sur Eklablog (voir Articles connexes), à terme, la pub risque d'avoir le même effet sur Internet que la censure. Pire en un sens du fait que si la censure incite à la rébellion, la pub, elle, inviterait plutôt à la fuite devant le sentiment d'étouffement et d'agression qu'elle suscite et à l'apathie chez ceux qui n'ont pas ce réflexe. Autrefois appelée « réclame » pour son côté racoleur — et de « pub » à « pute », il n'y a qu'une lettre — la publicité est devenue la gangrène de notre société, à l'image des corporations qui se sont emparées du monde. Ce ne sont pas les politiciens qui sont au pouvoir, ce sont les marques. Tous ceux qui gravitent autour ne sont que de vulgaires pions organisés suivant une hiérarchie que l'on déplace et élimine à volonté comme dans une partie d'échecs. Cet article est un résumé de No Logo de la journaliste canadienne Naomi Klein, publié à l'aube du XXIe siècle et devenu le livre culte des altermondialistes après avoir été popularisé notamment par le groupe Radiohead qui s'en sont inspirés pour la pochette de leur sixième album, Hail To The Thief (voir illustration). Tout ce qu'il y a à savoir sur la publicité et les marques vous est expliqué en détail dans cet excellent compte-rendu.

    Ey@el

    L
    e livre référence du mouvement antipubs et de l’altermondialisation.

    No Logo sort dans sa version originale en 2000, au terme d’une décennie marquée par la montée en puissance de la mondialisation libérale, les fermetures d’usines et la dégradation des conditions de travail dans les pays du Nord, la multiplication des sweatshops1 dans les pays du Sud, et une véritable colonisation de l’espace physique et mental des individus par les marques. Pour Naomi Klein — journaliste canadienne — ces éléments constituent les pièces d’un seul et même puzzle qu’elle entreprend de reconstituer, en attachant une importance toute particulière aux marques. Dans un système économique mondialisé, avec des multinationales jouant sur l’universalité de la langue des symboles, la résistance ne peut être que globale. No Logo accorde une large place à l’analyse et à la description des forces qui s’opposent au règne de l’entreprise avec, en toile de fond, l’idée que lorsque les gens connaîtront le vrai visage des marques, ils s’opposeront massivement aux transnationales.

    L’ouvrage est divisé en quatre temps : "Zéro espace" décrit l’invasion de l’espace public, de la culture et de l’éducation par le marketing ; "Zéro choix" explique comment les stratégies de concentration et de développement des multinationales ont réduit la diversité des choix des consommateurs ; "Zéro boulot" analyse les conséquences de la mondialisation sur l’emploi ; "Zéro logo" se focalise sur la résistance aux marques.

    Zéro espace

    1. Un monde marqué

    A l’origine, la publicité servait surtout à faire connaître les produits. Aujourd’hui, elle se développe de façon exponentielle et vise à construire une image de marque, un style de vie. C’est ce qu’on appelle le branding. Ce changement d’approche procède d’une rupture dans le modèle de fonctionnement des grandes sociétés. Le cœur de leur activité est désormais de produire une marque, pas des produits. La fabrication de ces derniers est délocalisée et confiée à des sous-traitants, de sorte que des multinationales comme Nike ne possèdent plus aucune usine.

    2. La marque se répand : comment le logo a pris la vedette

    Conséquence du changement d’approche des entreprises, les logos — considérés comme des extensions des marques — sont devenus omniprésents. Favorisée par les politiques de déréglementation et le retrait des financements publics, l’invasion des marques a été particulièrement remarquable dans le secteur culturel. Comme le souligne Naomi Klein, pour les marques, « il ne s’agit plus de sponsoriser la culture mais d’être la culture ». Elles organisent donc leurs propres événements (festivals, remises de récompenses, etc.) et assurent la promotion de « leurs » artistes. Leur force de frappe est démultipliée par la concentration des marques et des médias et par les stratégies de synergies qu’elle permet.

    3. Tout est alternatif : le marché de la jeunesse et le marketing du cool

    Dans les années 1990, considérant que le marché de la jeunesse était le plus à même d’assurer la croissance de leurs ventes, les marques ont littéralement colonisé leur espace physique et mental. Elles ont tout mis en œuvre pour apparaître cools, engageant des « agents de changements » (des salariés chargés d’être jeunes) et des consultants spécialisés dans la recherche du cool. Une fois identifiées les tendances des quartiers pauvres (comprendre « noirs » dans le contexte américain) et tous les courants résistant à l’esthétique dominante (grunge, adeptes de la « consommation ironique », etc.), les multinationales se sont lancées dans une gigantesque campagne de récupération, en lançant des sous-marques faussement alternatives notamment.

    4. Le branding de l’éducation : la pub dans les écoles et les universités

    La baisse des financements publics aux écoles et aux universités alors même qu’elles avaient des besoins nouveaux liés au développement des nouvelles technologies a fourni aux marques une bonne opportunité pour investir le monde de l’enseignement. Au moyen d’accords généralement secrets passés avec les directions, les chaînes de fast-food ont fini par jouer le rôle des cantines, les chaînes de librairies celui des bibliothèques et dans certains établissements, on contraint les élèves à regarder de la publicité sur les écrans « offerts » par les marques. La montée en puissance des marques dans les écoles et les universités se traduit par une censure croissante tant sur le plan politique que scientifique. Dans le premier cas, des associations étudiantes dénonçant le travail des enfants dans les usines des sponsors sont muselées par la direction de l’établissement. Dans le second cas, des universitaires voient leurs recherches enterrées si elles font ressortir que les produits élaborés par les sponsors (les firmes pharmaceutiques pour ne citer qu’elles) sont inefficaces, voire nocifs.

    5. Papa cool : le triomphe du marketing identitaire

    L’invasion des marques dans les écoles et les universités a été facilitée par le contexte idéologique des années 1990. A l’époque, les étudiants nord-américains sont engagés dans un combat — perçu comme révolutionnaire — pour une meilleure représentation des « minorités » (noirs, homosexuels, femmes, etc.).

    Les marques ont parfaitement su répondre à ce besoin de reconnaissance de la diversité grâce au développement du marketing identitaire. Elles sont parvenues à apparaître comme des alliées dans la lutte des jeunes alors que leur communication sur la diversité cherchait surtout à fabriquer un « ado mondial » auquel elles pourraient vendre les mêmes produits avec le même discours. Naomi Klein dresse un bilan amer du combat pour la political correctness, auquel elle a activement participé : « la politique identitaire ne combattait pas le système, elle n’était même pas subversive. Elle alimentait la vaste et nouvelle industrie du branding des grandes entreprises ». Après coup, l’auteur considère que, puisque le processus de libéralisation était alors en pleine expansion, il aurait fallu s’attaquer en priorité au problème de la redistribution des richesses.

    Zéro choix

    6. La bombe du branding : les franchises à l’ère de la supermarque

    Au moment même où les marques célèbrent la diversité, elles sont engagées dans un intense processus de concentration capitalistique qui réduit drastiquement le choix des consommateurs. Les franchises et les chaînes prolifèrent, éliminant les petits commerces indépendants. Naomi Klein identifie deux grands modèles de développement des marques : Wal-Mart2 et Starbucks. Le modèle Wal-Mart repose sur des économies d’échelle à tous les niveaux permettant de mener une guerre des prix impitoyable pour les concurrents. Le modèle Starbucks consiste à saturer le centre-ville de points de vente jusqu’à ce que la concurrence soit si feroce que les ventes baissent même dans les magasins Starbucks. Wal-Mart et Starbucks ont des images diamétralement opposées mais dans les deux cas, on retrouve la même logique de chaînes : le clonage de magasins et la destruction de la concurrence.

    7. Fusions et synergies : la création d’utopies commerciales

    L’objectif ultime d’une multinationale, c’est de faire de sa marque un style de vie auquel les clients s’identifieraient tant qu’ils deviendraient ses esclaves. Le meilleur moyen d’atteindre cet objectif est de rendre la marque plus autosuffisante en multipliant les fusions, les synergies et les promotions croisées. Les supermagasins (type Nike Town) donnent une idée concrète de cette nouvelle utopie commerciale : ils offrent aux clients la possibilité de « rentrer dans la marque », de pénétrer dans son univers en 3D. Certaines multinationales proposent également des camps de vacances permettant d’expérimenter temporairement le style de vie de la marque. Disney a poussé la logique jusqu’au bout en créant son propre village — Celebration — dans lequel les gens vivent vraiment.

    Sur le plan éthique, les stratégies d’intégration verticale et horizontale des marques rendues possibles par les politiques de déréglementation de Reagan ne sont pas sans poser de sérieux problèmes. Il suffit d’étudier le cas du secteur du livre pour s’en convaincre : lorsqu’un même conglomérat édite les livres, les distribue et assure leur promotion dans tous les médias qu’il contrôle, il met en cause la liberté d’expression et la libre circulation des idées.

    8. La censure commerciale : barricades autour du village des marques

    Contrôler de plus en plus de maillons de la chaîne de vie des produits culturels (production, distribution, critique, promotion, etc.) permet non seulement de réussir à vendre ses propres produits mais aussi de censurer ceux qui posent problème à la marque. C’est ce que Naomi Klein appelle la « censure synergique ». La censure peut être plus brutale, comme lorsque certaines grandes chaînes de distribution exigent des versions altérées des produits pour pouvoir les mettre dans leurs rayons (pochettes de CD et chansons de Nirvana modifiées, scènes de films coupées parce que trop explicites sur l’homosexualité…). La censure peut également prendre des formes plus subtiles, les artistes s’autocensurant pour assurer la meilleure diffusion possible de leurs œuvres.


    Pour les multinationales, la culture fonctionne en sens unique : elles en sont les productrices et nous les consommateurs. S’il vient à l’idée d’un individu de dialoguer avec divers éléments de la pop culture en utilisant des slogans publicitaires ou des icônes culturelles comme la poupée Barbie par exemple, les marques dégainent la législation sur le droit d’auteur et s’en servent comme d’une arme pour protéger leur image. Une fois de plus, derrière l’écran de fumée des beaux discours sur la diversité, les marques poursuivent une politique guerrière d’élimination de tout ce qui pourrait nuire à leurs intérêts financiers. Les centres commerciaux sont les symboles de cette situation : bien qu’ils se présentent comme des espaces publics, ils sont entièrement aux mains d’intérêts privés qui dénient aux citoyens le droit de s’y exprimer librement, d’y manifester ou d’y faire signer des pétitions.

    Zéro boulot

    9. L’usine au rancart

    Fidèles à la logique « des marques, pas des produits », la plupart des multinationales se sont débarrassées de leurs usines pour consacrer une part croissante de la valeur ajoutée au branding. Comme la fabrication des produits a été confiée à des sous-traitants dans les pays du Sud, les marques ont perdu tout sentiment de responsabilité vis-à-vis des ouvriers. Elles se sont bornées à passer commande au mieux offrant sans se soucier de la façon dont leurs produits étaient confectionnés. Rien d’étonnant donc à ce que les sous-traitants soient allés s’installer dans des zones franches, que Naomi Klein qualifie de « mini-états militaires au sein des démocraties » exempts d’impôts, de législation sociale et de syndicats.

    Contrairement à ce qu’affirment les chantres du libéralisme, ces zones franches ne permettent pas un développement économique des pays pauvres. Elles accueillent des entreprises qui se contentent de faire de l’assemblage (oubliés les transferts de technologies !) et qui sont prêtes à repartir aussi rapidement qu’elles sont venues si elles trouvent une offre plus intéressante ailleurs. Surtout, comme les sociétés versent à leurs employés des salaires rongés par les dévaluations qui leur permettent à peine de survivre et qu’elles ne payent pas d’impôts aux communes, elles transforment des pays entiers en « bidonvilles industriels et en ghettos de main-d’œuvre bon marché ». Naomi Klein, qui s’est rendue dans diverses zones franches asiatiques, décrit dans le détail les conditions de travail effroyables des ouvriers (le plus souvent des ouvrières célibataires de 17 à 25 émigrées de provinces rurales) et en conclut que l’idée selon laquelle les emplois des pays du Nord ont fui vers les pays du Sud est totalement fausse : en réalité, les emplois du Nord ont disparu pour céder la place à des emplois d’un nouveau type caractérisés par une précarité extrême, la surexploitation, des régimes dictatoriaux et des salaires de misère. Dans l’opération, les multinationales sont parvenues à réaliser des marges de 400 % sur leurs produits contre 100 % avec le modèle de production traditionnel.

    10. Menaces sur l’intérim

    Dans les pays du Nord, parallèlement à la fermeture des usines, les conditions de travail se sont fortement dégradées. Cherchant à puiser dans des réserves fluides d’employés à temps partiel et de pigistes (de préférence des jeunes tirant les salaires à la baisse), les grandes sociétés ont eu massivement recours aux intérimaires et leur ont confié des tâches autrefois réservées à leurs salariés. Elles ont également développé les McJobs, des petits boulots considérés comme passagers dont le salaire ne permet pas de vivre. Les secteurs des services et de la vente au détail, qui représentent 75 % des emplois aux États-Unis, ont été directement touchés. Le phénomène de précarisation du travail ne se limite pas aux fast-food, il concerne des sociétés aussi diverses que Microsoft ou MTV. Naomi Klein accorde une importance particulière à l’essor du travail non-rémunéré (stages) qui permet aux entreprises d’engranger des bénéfices considérables et réserve certaines carrières (notamment dans le secteur culturel) aux personnes qui peuvent compter sur le financement de leur famille.

    La précarisation du travail s’est accompagnée d’un discours sur la flexibilité choisie et l’émergence d’un « peuple d’autonomes » composé de free lance travaillant pour ceux qui proposent les meilleures conditions. Le message sous-jacent tendait à faire croire aux travailleurs précaires qu’ils n’appartenaient pas à la classe ouvrière mais à la classe moyenne.

    Or, comme le souligne l’auteur, « en règle générale, passer au travail temporaire, c’est perdre sur les deux tableaux : un travail mal rémunéré, sans avantages sociaux ni sécurité, et un moindre contrôle des horaires ». Au final, ceux qui ont le plus à gagner à la flexibilité sont les cadres supérieurs et les « PDG intérimaires » qui passent d’une entreprise à l’autre pour effectuer des coupes dans les effectifs et repartir avec des primes et des salaires mirobolants (quelle que soit leur compétence).

    11. L’érosion de la loyauté : on récolte ce qu’on a semé

    Si les entreprises se considèrent désormais non plus comme des créatrices d’emplois mais comme des créatrices de richesses, les salariés comprennent progressivement que ce qui est bon pour l’entreprise n’est pas nécessairement bon pour eux. La hausse du cours des actions à chaque annonce de plan social laisse d’ailleurs supposer que c’est précisément le contraire. Les employés ne s’identifient plus à l’entreprise pour laquelle ils travaillent et les jeunes distinguent plus nettement que leurs aînés vie privée et vie professionnelle. Ce changement en profondeur des mentalités pourrait expliquer le développement de comportements contraires aux intérêts de l’entreprise, comme les vols ou le hacking.

    Zéro logo

    12. La résistance culturelle : les casseurs de pub

    Face à l’invasion publicitaire et aux conséquences désastreuses des stratégies des multinationales sur le plan humain, écologique et politique, une réaction était inévitable. Celle-ci a pris différentes formes, dont celle de la résistance culturelle, définie comme une « pratique qui consiste à parodier les publicités et à détourner les panneaux-réclame afin de modifier radicalement leurs messages ». Ses adeptes considèrent que le détournement d’un logo est d’autant plus efficace que les marques ont investi beaucoup d’argent pour leur donner du sens. Ils ajoutent qu’une « bonne opération de résistance, c’est une radiographie du subconscient d’une campagne, qui dévoile non pas son contraire, mais la vérité profonde qui se cache sous les couches d’euphémismes publicitaires ».

    La vérité profonde qui alimente la rage des casseurs de pubs, c’est la perte de l’espace public, la censure commerciale et le déficit d’éthique concernant la main d’œuvre. Les tentatives de récupération par les marques de certains messages antipubs n’ont fait qu’alimenter la révolte. Les casseurs de pubs et autres « hacktivistes » (hackers pénétrant sur les sites Web des grandes sociétés) sont convaincus qu’ils sont en mesure d’enrayer le système car ils seront de plus en plus nombreux. Selon eux, nous avons tellement été bombardés de slogans publicitaires qu’il y a un résistant culturel en chacun de nous. Cet optimisme est pondéré par Naomi Klein, qui précise que pour ébranler le système, il ne suffit pas de s’attaquer aux images : il faut lutter contre les sociétés qui les fabriquent.

    13. Reconquérir les rues

    Parce que les rues jouent un rôle stratégique pour les marques qui les occupent chaque jour un peu plus, le mouvement international Reclaim The Streets (RTS) a entrepris de les reconquérir. Sa technique consiste à transformer par surprise des artères de circulation en « terrain de jeu surréaliste », avec rave party, plantage d’arbres au milieu des routes, érection de barricades et cracheurs de feu. Ces fêtes radicales bénéficient de l’appui d’autres mouvements internationaux d’un nouveau genre, comme les promenades à vélo Critical Mass. Ces promenades constituent des rassemblements « spontanés » de milliers de cyclistes, ce qui bloque la circulation et permet l’érection de barricades et l’arrivée des fêtards du RTS. Ce type d’action présente un risque réel d’escalade vers le hooliganisme et les émeutes (risque concrétisé lors de la première Fête de rue mondiale, en 1998), mais Naomi Klein souligne qu’il montre le « potentiel et le désir d’une protestation à l’échelle mondiale contre la suppression de l’espace public ».

    14. La grogne monte : le nouveau militantisme à l’encontre des grandes sociétés

    Les compagnies transnationales ont aujourd’hui plus de pouvoir que de nombreux gouvernements. Or, ces sociétés opèrent dans la plus grande opacité et les citoyens n’ont aucun contrôle de leurs activités. De nouveaux réseaux de militants (des bandes de hackers aux centres de recherche sur le crime commercial, en passant par les entarteurs) se sont formés pour apporter de l’information sur l’envers du décor des marques. Au prix d’importants efforts, ils fournissent des données sur les conditions de travail dans les sweatshops, les atteintes aux droits humains perpétrées par certains régimes autoritaires pour satisfaire les multinationales, la pollution, etc. Leur travail porte ses fruits car dans les pays du Nord, les mentalités changent progressivement. Le discours qui consistaient à dire des ouvriers du Sud « ils nous volent nos emplois » cède la place à une analyse plus dangereuse pour les multinationales : « nos grandes sociétés leur volent leurs vies ».

    15. Le boomerang du branding : les tactiques des campagnes de marques

    Depuis qu’elles veulent incarner des valeurs positives dans lesquelles nous pouvons nous identifier, les marques entretiennent avec nous une relation intime. En retour, nous sommes plus indignés par les crimes dont elles se rendent coupables car ils nous touchent directement : nous sommes capables de faire le lien entre ce qui se passe dans les zones-franches et nos propres vies. Ruse de la raison, les campagnes anti-sociétés puisent leur force dans le pouvoir d’attraction des marques. Il faut savoir jouer de cet effet boomerang, par exemple en invitant un travailleur du Tiers-Monde à visiter un supermagasin devant les médias, en mettant en parallèle la vie de marque et la réalité ou en utilisant le cas des marques pour faire passer des idées globales (exemple avec l’inégale redistribution des bénéfices : il faudrait à un travailleur haïtien fabriquant des produits Disney 16,8 années pour gagner ce que le PDG de Disney gagne en une heure). En mettant les marques le nez dans leur propre fange, les activistes salissent par ricochet tout ce qu’elles ont sponsorisé (artistes, événements, etc.), ce qui peut les mettre dans des situations difficiles devant les médias ou leurs propres actionnaires.

    Dans le même temps, la solidarité internationale se développe, facilitée par le Net, et les militants du Nord informent les travailleurs du Sud sur les prix de vente des produits qu’ils fabriquent. Cela leur permet de se sentir plus forts pour défendre leurs droits et facilite l’implantation des syndicats.

    16. Trois petits logos : le swoosh, la coquille et les arches

    Naomi Klein développe le cas de trois multinationales (Nike, Shell et Mc Donald’s) ayant essuyé de sérieux revers face aux activistes anti-marques. Dans les quartiers noirs des États-Unis, des militants sont parvenus à retourner les jeunes contre Nike en leur expliquant comment la marque au swoosh s’enrichissait sur l’image de leur quartier tout en y faisant disparaître les emplois. Les militants anti-Shell ont durement attaqué la société en lui donnant l’image d’un pollueur (affaire de la plate-forme de Brent Spar) et d’un meurtrier (exécution de l’écrivain Ken Saro-Wiwa par le gouvernement nigérian pour faciliter les opérations de Shell en territoire Ogoni). Enfin, en Grande-Bretagne, le procès de McDonald’s contre deux écologistes s’est retourné contre la chaîne de fast-food et a montré comment les grandes sociétés pouvaient constituer une menace pour la liberté d’expression. Tirant les enseignements de ces exemples, Naomi Klein conclut que les procès sont la meilleure manière d’obliger les multinationales à présenter leur vrai visage et qu’Internet est un outil d’organisation et de sensibilisation redoutable pour les activistes.

    17. La politique étrangère sur le plan local : étudiants et communautés entrent dans la bataille

    Le très grand pouvoir d’achat des institutions publiques leur permet d’exercer une pression considérable sur les entreprises. Les universités qui vendent des produits à leur nom peuvent exiger — comme l’université Duke — que ceux-ci ne soient pas fabriqués dans les sweatshops. En outre, les étudiants peuvent faire pression pour empêcher la signature de contrats entre leur université et une firme qui ne respecterait pas certains principes éthiques. C’est ainsi qu’en 1997, la marque Pepsi a été contrainte de quitter la Birmanie pour mettre un terme aux boycotts dont elle était victime dans les universités.

    Les gouvernements locaux, qui disposent d’importants budgets, peuvent mettre en place des « ententes d’achat sélectif » pour refuser de passer des commandes à des sociétés ayant des comportements irresponsables (par exemple, l’État du Massachusetts écarte des commandes publiques les entreprises faisant affaires en Birmanie). Cette stratégie s’avère tellement efficace que les multinationales se sont organisées en lobby pour tuer dans l’œuf ce type d’initiatives et traîner les communautés devant les tribunaux en invoquant des réglementations de l’OMC.

    18. La marque comme métaphore : les limites de la politique des marques

    Le comportement des multinationales s’inscrit dans un contexte plus large : celui du système économique mondial. Pour Naomi Klein, la lutte contre les marques (ou les sociétés sans marques, via les boycotts secondaires) ne doit pas être considérée comme une fin en soi mais comme une porte d’entrée pour prendre conscience de problématiques plus globales. Elle permet aussi aux activistes d’avoir le sentiment qu’ils peuvent faire quelque chose, qu’ils ne sont pas impuissants.

    L’activisme anti-marques a des effets pervers et des limites dont il faut être conscient. Se focaliser sur les marques relègue au second plan la lutte contre les injustices sans logos, ce qui pose un vrai problème éthique. De plus, on ne peut raisonnablement pas aborder le problème des droits collectifs et des luttes des ouvriers uniquement dans le contexte du choix des consommateurs. Pour rassurer ces derniers, les multinationales ont multiplié les codes de bonne conduite. Ces codes ne sont pas satisfaisants. D’abord, parce qu’ils ne sont pas appliqués ou pas applicables. Ensuite parce que, comme le souligne Naomi Klein, « le message sous-jacent aux codes de conduite est pétri d’une nette hostilité envers l’idée que les citoyens peuvent — à travers les syndicats, les lois et les traités internationaux — prendre le contrôle de leurs propres conditions de travail et des conséquences écologiques de l’industrialisation. » Ce sont les travailleurs qui ont les meilleures réponses aux problèmes qui se posent dans les usines. Comme leurs homologues du Nord, les ouvriers des zones-franches ont le droit à l’autodétermination, cœur du mouvement syndical depuis les origines.

    Consommateurs et citoyens

    Aujourd’hui, les marques ont un pouvoir colossal, mais l’époque où elles avaient les mains libres est révolue. En Occident comme dans les pays du Sud, la résistance se structure et invente de nouvelles formes de militantisme. Cette lutte ne peut pas se limiter aux marques, car celles-ci ne sont qu’un élément d’un système économique beaucoup plus large et tout aussi injuste. Au final, No Logo nous invite donc à passer du stade de consommateur responsable à celui de citoyen engagé.

    No Logo, la tyrannie des marques, Naomi Klein, J’ai Lu, 2001 (version française). ISBN 2-290-33312-3

    Par Onno Maxada
    © La Révolution en charentaises

    Notes et références

    1. ^ "Usine à sueur" : usine dans laquelle les employés sont sous-payés et où les conditions de travail sont extrêmement dures.
    2. ^ Wal-Mart est une chaîne de grandes surfaces situées en périphérie des villes et dans lesquelles on trouve de tout pour pas cher.

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