• Projet Eklabugs : Légendes virtuelles

    Article d'Ey@el

    Nouvelle session du projet Eklabugs (qui comme le vaudou est toujours debout) sur le thème des légendes. Comme d'hab, vous trouverez la liste des autres articles écrits par les participants à la fin de ce billet.

    Du rêve à la réalité virtuelle

    Légende, vous avez dit ? Du latin legenda (« ce qui doit être lu »), un terme qui, en français, désigne tout à la fois une inscription explicative accompagnant une illustration, des signes sur un schéma, plan ou carte, ou encore un récit, un personnage totalement inventé ou enrichi d'éléments fictifs.

    Un concept ambigu certes, mais on ne peut plus d'actualité à une époque où le culte du paraître prend des proportions très alarmantes notamment grâce à l’avènement des médias, de la publicité à outrance et des réseaux sociaux qui semblent régir les vies de la plupart d'entre nous. Comme je l'expliquais par ailleurs, dans un autre article rédigé dans le cadre de ce même projet (voir Articles connexes), de tous temps, l'être humain n'a eu de cesse de vouloir s'évader d'une réalité qu'il ne sait pas contrôler en se projetant sur des icônes, des images idéalisées de héros ou de situations idylliques.

    J'ai besoin de perfection,
    D'une sélection déformée
    Qui m'embrouille
    Pour me maintenir en vie.

     "Mystify", INXS (1987)

    Force est de constater que le développement actuel des technologies et outils de communication sophistiqués, censés rapprocher les individus, ne fait finalement qu'accentuer cette cassure entre ce que nous sommes et ce à quoi nous aspirons, créant des générations entières de « no life » (sans vie) et de « fake » (factices) qui se construisent une persona et une existence fictive sur ces espaces virtuels appelés « réseaux » (zoos !) ou « médias » sociaux au point de s'identifier à cet ersatz de réalité et se déconnecter totalement de qui ils sont et pourraient réellement devenir en s'alignant à leur essence véritable.

    Et c'est clair, nous n'avons jamais été aussi seuls et autant déconnectés que depuis que nous sommes tous « connectés » ! Cherchez l'erreur. Il n'y en a pas, tout est entièrement voulu et calculé.

    Car ces images, ces « légendes » auxquelles beaucoup aspirent à ressembler ne sont rien d'autres que des stéréotypes fabriqués, inaccessibles, visant à nous maintenir dans l'ego pour nous rendre plus malléables, nous détourner de nos véritables besoins en nous en créant de faux et surtout, à terme, annihiler nos consciences.

    Le réveil salutaire d'Essena O'Neill

    Elle a l'air vraie,
    Elle a le goût du vrai,
    Ma chérie artificielle en plastique.
    Mais je n'arrive pas à chasser l'idée
    Que je pourrais exploser et traverser le plafond
    Si seulement je fuyais à toutes jambes.
    Et ça m'épuise, ça m'épuise...

    "Fake Plastic Trees", Radiohead (1995)

    C'est ce qu'a soudain réalisé Essena O'Neill, une ravissante adolescente australienne, séduite comme tant d'autres jeunes filles de son âge par cet idéal inaccessible de perfection sur papier glacé ou, devrais-je dire, sur tablettes numériques.



    Cliquer pour agrandir

    Légende rectifiée : PAS LA VRAIE VIE — il a fallu plus de 100 photos dans des poses similaires pour que mon ventre paraisse beau. Je n'avais pratiquement pas mangé ce jour-là. J'ai crié sur ma petite sœur pour qu'elle en prenne jusqu'à ce que j'en sois fière. Ouaip, complétement.



    Cliquer pour agrandir

    Légende rectifiée : payée pour cette photo. Quand vous tombez sur des « filles Instagram » en rêvant d'être à leur place, réalisez que vous ne voyez que ce qu'elles veulent bien. Si elles taguent une société, c'est que, dans 99% des cas, elles ont été payées pour. Il n'y a rien de mal à soutenir des marques que vous aimez (par exemple, je serais fière de promouvoir des draps écolos ou des repas végétaliens pour de l'argent car c'est pour moi un commerce utile). MAIS ça ^^^ ça ne l'est pas du tout. Un sourire forcé, des vêtements minuscules et être payée pour être jolie, ça ne sert à rien. Nous sommes une génération à qui on a appris à consommer sans cesse sans se soucier d'où tout cela provient ni où ça va.

    Pourtant dotée par la nature d'une plastique sublime, à 12 ans, Essena la solitaire, mal dans sa peau, est rejetée par ses camarades de la vraie vie et se réfugie dans le monde virtuel des médias sociaux, se faisant happer corps et âme dans ce jeu malsain du paraître et de la quête d'approbation en diffusant d'abord des « selfies » (autoportraits) travaillés de sa belle enveloppe physique sur ses comptes Instagram, Tumblr, SnapChat et YouTube qui lui valurent très rapidement un nombre conséquent de « followers » (suiveurs).

    Puis les marques, toujours à l'affut d'un bon filon commercial, lui font des ponts d'or (en réalité, bien peu comparé à la rémunération d'un mannequin professionnel) pour présenter leurs produits en ligne. Ce qu'elle fait jusqu'à sa majorité, devenant ainsi une star du virtuel avant de finalement se rendre compte à quel point toute cette pseudo-vie « de rêve », pour laquelle tant de ses copines seraient toutes prêtes à se damner, n'a décidément rien à voir avec ce qu'elle imaginait et combien elle se sent toujours aussi malheureuse, frustrée, vide, seule et désemparée avec son demi-million d'« amis » qui ne la perçoivent qu'au travers d'un filtre déformé. Son faux reflet — sa persona virtuelle lui a volé sa vie, la transformant en un spectre invisible.

    Petite question : que faisaient donc ses parents ?

    Dans un sursaut salutaire, la veille de son dix-neuvième anniversaire, elle décide finalement de mettre un terme à cette existence virtuelle et à cette poursuite de gloire aussi vaine que vide de sens (qu'elle compare à une addiction) en publiant une vidéo (en anglais) sur YouTube où elle apparait sans fard et au bord des larmes et dans laquelle, elle explique : « Je passais des heures en ligne à regarder ces filles parfaites, en rêvant d'être à leur place. Et puis, quand je suis devenue "l'une d'entre elles", je n'étais pas pour autant heureuse, satisfaite ou en paix avec moi-même ».

    « J'ai tout à perdre en faisant cela » avoue-t-elle « mais je le fais pour la gamine de douze ans qui est en moi et qui croyait que c'était ça, la vraie vie ».

    Et pour prouver combien les apparences sont trompeuses et que « les médias sociaux ne sont pas la vraie vie », elle va même jusqu'à réécrire les légendes de certains de ses clichés les plus plébiscités, dévoilant sans pudeur qu'elle passait des heures à obtenir le selfie « parfait » qu'elle retouchait ensuite à l'aide de plusieurs applications numériques.

    Somme toute comme les pros (voir Articles connexes).

    De l'autre côté du miroir

    Ne vous imaginez jamais ne pas être autrement que ce qu'il pourrait apparaître aux autres que ce que vous fûtes ou auriez pu être, ne serait pas autrement que ce que vous aviez été et leur serait apparu comme étant autrement.

    Alice au Pays des Merveilles, Lewis Carroll (1865)

    Mais quitter la Matrice a également un prix très élevé auquel Essena ne s'attendait pas du tout. Certes, sa vidéo a bien fait le buzz comme elle l'escomptait, mais en lui explosant en pleine figure. Quelle ironie que ce soit justement quand elle tombe le masque et décide de prôner l'authenticité qu'on se mette à voir en elle une usurpatrice.

    Accusée de vouloir simplement tirer la couverture à elle pour se faire de l'argent, la jeune fille devient alors la cible de toutes les haines pour avoir osé spolier le rêve.

    Rien d'étonnant dans un monde de confusion où toutes les valeurs sont inversées et où de moins en moins savent encore distinguer le vrai du faux ni jauger les vibrations.

    « Il y a deux semaines », écrit-elle, « j'ai fait don de tous les fonds récoltés [par son site] à trois œuvres caritatives le plus en accord avec mes principes. J'ai même peur d'en parler à l'idée qu'on puisse encore penser que je cherche toujours et encore à attirer l'attention — et je suppose qu'on n'en sort jamais gagnant. »

    Décidément, comme disait Einstein, il n'y a pas le moindre doute quant à la dimension infinie de la connerie humaine. Et ça n'a rien d'une légende. C'est un constat indéniable.

    Ey@el

    « Une vérité qui dérangeLe Chœur de l'Aube »

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  • Commentaires

    1
    Samedi 30 Avril 2016 à 11:11

    J'ai adoré ton article, il est génial comme d'habitude ! Je suis désolée de n'avoir rien de constructif à ajouter, mais lorsque je finis de lire une de tes publications j'ai toujours l'impression de n'avoir plus rien à dire, que j'ai déjà lu tout ce qui pouvait être ajouté sur le sujet. J'avais malheureusement déjà eu l'occasion de lire l'histoire de cette jeune fille lors de mes déambulations sur la toile (ou une histoire semblable), et ça me désole toujours autant. En tous cas, j'ai beaucoup apprécié la façon dont tu l'as utilisé pour le thème de cette session. C'est toujours un plaisir de te lire dans Eklabugs ! 

    PS : sympa le nouveau thème.

      • Samedi 30 Avril 2016 à 15:28

        Merci. En fait, hier soir je suis tombée sur une vidéo d'un père qui démonte certaines allégations de la demoiselle, notamment de la légende d'une photo qui selon elle aurait nécessité des centaines de clichés et des heures de travail plus retouche alors qu'il démontre preuve en images que cette session faisait partie d'un ensemble de photos prises par Essena et ses amis (dont les jumelles de ce monsieur) sur une plage et qu'entre le cliché choisi et tous les autres où elle ne figure pas toujours, il n'y aurait que quelques secondes d'intervalle et la photo choisie telle qu'elle figure sur la carte mémoire de l'appareil photo n'a pas l'air retouchée du tout. Bon, j'utilise le conditionnel car malheureusement on peut trifouiller ce qu'on veut. Ce monsieur qui a quand même l'air de savoir de quoi il parle (mais qui vend quand même des choses !) explique notamment que ce serait bien un "hoax" visant à lui faire obtenir un contrat d'édition. Selon lui, ce genre de buzz attire l'attention des médias grand public, notamment l'émission "Good Morning America" qui permet à quiconque passant à l'antenne de vendre des millions de livres aussitôt après (à 10% ça fait beaucoup d'argent — ce qu'on a du mal à s'imaginer en France où un auteur médiatisé ne gagne pas ça du tout). Bref, la demoiselle serait effectivement en train d'écrire un livre sur .... comment devenir une star des médias sociaux !

         

        On dirait donc que je me suis laissée prendre. Cela montre bien comment c'est facile. Ceci dit, même si au final il semblerait que ses intentions n'aient rien à voir avec ce qu'elle dit, il y a tout de même un fond de vérité. Le problème avec ce genre d'attitude c'est que cela brouille les pistes et dégoutent les gens de s'intéresser à la vérité vu que chacun y va de ses petites magouilles personnelles. Une chose est sûre, cette jeune fille est mal dans sa peau malgré sa beauté, tout ce fric et ce buzz. Je pense que c'est ce que j'ai ressenti et qui m'a un peu occulté tout le reste. Et ça ça prouve bien que tout ce qui est censé faire le bonheur est une légende, un mythe pour que nous détourner de la véritable source du bonheur, pour que nous n'allions pas la chercher en nous. Et ça fonctionne plutôt bien.

         

        Et je te remercie pour ton article qui a en quelque sorte été le déclencheur d'une chaine de synchronicité qui m'a éclairé l'esprit.

         

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    2
    Samedi 30 Avril 2016 à 15:35

    Oh comme quoi ! Mais bon, en même temps, il y'a de quoi se laisser prendre au piège : ce genre d'histoires est tellement courante malheureusement, qu'on ne doute pas de leur véracité. Le problème avec internet, c'est que rien n'est vérifié ni totalement vérifiable... Ou très peu de choses. J'étais moi-même sûre que cette histoire était vraie, et elle a été relayée par de nombreux sites.Bref, j'avoue que je suis une peu choquée ! 

      • Samedi 30 Avril 2016 à 15:43

        Pas sûre non plus que ce que raconte le type dont j'ai parlé soit vrai. En fait, ses filles ont publié tellement de vidéos sur YouTube pour "casser" Essena que ça pourrait juste être un règlement de comptes. Les médias le font bien aussi, pourquoi pas des particuliers. J'avoue que je ne le sens pas trop bien de ce côté-là non plus. Mais tu sais, la vérité c'est à nous de la trouver. Il ne faut jamais rien prendre pour argent comptant, ni tout rejeter en bloc non plus. Juste faire la part des choses, avancer prudemment et ne pas hésiter à se remettre en question (sans honte) quand on réalise qu'on s'est trompé. Ceci dit, comme je viens de le dire, je ne me suis trompée qu'à moitié car ça reste valide comme légende virtuelle sauf que ça semble être une légende dans la légende sous tous les sens du terme ^^

         

    3
    Samedi 30 Avril 2016 à 19:37

    la solidarité familiale ... et le courage désormais ne se montre plus que derrière un écran de pc :(

    une fois de plus je reste doigts bés... si ce n'est l'échange que vous avez avec Mrs swadloon, je ne ne sais pas trop comment rebondir tu as tout dit ...

      • Samedi 30 Avril 2016 à 19:55

        C'est bien vrai ce que tu dis. Je communique plus via Intenet que dans la vraie vie et ce n'est pas par choix. Faut que ça change !

    4
    Samedi 30 Avril 2016 à 20:56

    Hélas aujourd'hui, nous vivons dans un monde où des codes régissent notre vie ... Tu peux vite te retrouver en marge de la société juste parce que tu ne vis pas comme les codes le disent. Je le vois très bien autour de moi. Je suis "déconnectée" des réseaux sociaux, mes amis aussi, et pourtant on passe du bon temps ensemble. Parce qu'on emmerde les codes de la société. On est comme on est et puis c'est tout.

    Je ne savais pas qu'il y avait eu des mises au grand jour des coulisses de la société de ce genre ... Et cela me désole de voir que les jeunes d'aujourd'hui sont si manipulables qu'ils n'en voient même pas les fils. Cela leur fera un choc, quand ils verront le monde tel qu'il est ... Comme fut choquée Essena lorsqu'elle s'en est rendue compte.

    5
    Dimanche 1er Mai 2016 à 22:04

    http://neophil78.free.fr/smileys/AuLuXeANeo/265_turlutte.png  (équivalent du pouce levé) sur le  http://neophil78.free.fr/smileys/AuLuXeANeo/260_rezo_antisocial.png

    MMMMMmmmmmOoooouuuuuuuuaaaaaaaaaaarrrrrrffffffffffffffff ©

      • Lundi 2 Mai 2016 à 00:52

        Ah, ça y est tu l'as remis en ligne ton réseau interdit aux moins de 18 ans ? Le bonjour à l'abbé !

    6
    Lundi 2 Mai 2016 à 19:35

    Comment ça interdit aux moins de 18 ans ??? http://neophil78.free.fr/smileys/AuLuXeANeo/063_surpris.gif

    Je rappelle que la turlutte est un petit rouleau dans lequel on souffle et qui fait du bruit en se déroulant. C'est juste que le smiley "adéquat" http://neophil78.free.fr/smileys/AuLuXeANeo/127_fiesta.gif  n'était pas dispo dans le générateur de panneaux ...

    http://neophil78.free.fr/smileys/AuLuXeANeo/131_bouffon.gif

     

     

      • Lundi 2 Mai 2016 à 23:28

        Faudrait pas qu'on puisse confondre avec une corne de brume. Je ne voudrais pas voir rappliquer tous les vieux pervers pépères ni les gais lurons. Sinon je fais comme Radiohead : je m'efface d'Internet.

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