• Les théories du karma et leurs conséquences

    Article de Maritha Pottenger traduit par Anne Lorrai

    Dans les pages de notre revue Le Dilemme mutable, la réincarnation fait partie de notre contexte, mais sans que nous discutions beaucoup de ses implications et ramifications. Nous ne savons pas précisément combien de nos lecteurs l’acceptent en tant qu’hypothèse raisonnable, et combien ne le font pas. Un sondage de 1984, qui m’a étonnée, relevait 23% d’Américains adultes affirmant croire en la réincarnation (et 28% d’adolescents). La même enquête présentait 42% d’adultes affirmant avoir été en contact avec une personne décédée (souvent un conjoint ou un membre de la famille). En 1973 seulement 27% d’adultes avouaient une telle expérience. Le sondage récent donnait également 67% d’adultes rapportant une expérience relevant de la perception extrasensorielle (contre 58% en 1973).

    Il y a différentes théories sur la réincarnation et sur la façon dont elle fonctionnerait. Et s’il est bien évident que je n’ai pas les réponses ultimes, j’ai par contre, bien certainement des questions et des préoccupations en tant qu’astrologue-conseil... En effet, la croyance en la réincarnation affecte le type de conseil que l’on peut offrir en tant qu’astrologue, aussi notre vision de son fonctionnement est-elle particulièrement importante.

    Les trois théories ci-dessous sont celles que j’ai relevées dans la littérature et parmi les gens qui y croyaient. Après les avoir exposées, je débattrai des questions qu’elles soulèvent et des pièges potentiels qu’elles recèlent pour l’astrologue-conseil.

    La théorie « Œil pour Œil »

    Cette approche présente la réincarnation comme le décompte littéral des bonnes et mauvaises actions passées. Si vous avez commis un meurtre dans votre vie antérieure, vous serez assassiné dans la présente. Si vous avez été infidèle à votre conjoint, vous en épouserez un infidèle dans cette vie. Si vous agressez quelqu’un, vous serez agressé vous-même, etc.

    Je suis encline à rejeter cette approche. Elle parait beaucoup trop simpliste. De surcroit, elle ne mène qu’à sa propre autoperpétuation. En effet, si chaque meurtrier doit être massacré en retour, cela ne génère-t-il pas constamment de nouveaux assassins ?

    Les circonstances, apparemment, n’entrent pas en ligne de compte. Est-ce qu’un homicide commis par légitime défense est identique à un meurtre prémédité ?

    Dans ce système très déterministe, les événements de l’existence et beaucoup de choix de vie (époux, famille, etc) sont préprogrammés sans aucun contrôle personnel ou pouvoir sur la question. En tant que conseil, je suis très méfiante envers les systèmes qui excluent tout pouvoir ou toute responsabilité personnelle chez l’individu.

    Pourtant, on est bien obligé de reconnaître que la « pure justice » de cette approche parle à beaucoup. Elle est directe et ne laisse pas place au doute.

    Si vous faites quelque chose de mal : vous êtes puni, et si vous faites le bien : vous êtes récompensé. Elle laisse pourtant de nombreux doutes dans mon esprit. Qu’est-ce que « le bien » et qu’est-ce que « le mal » ? Peut-il exister des circonstances où un « meurtre » est justifié ? Les jugements moraux sont-ils vraiment aussi simples dans l’univers ?

    La théorie de l'École

    Dans cette approche théorique, la vie est conçue comme un apprentissage progressif suivant la forme d’une spirale évolutive [un cheminement à la fois linéaire et graduel]. On y grandit et évolue vers toujours plus de conscience et d’amour. Tout élément de l’existence est un grain à moudre pour apprendre. Il est généralement question de faire le bien plutôt que le mal et la définition de ces deux positions varient selon les individus. La facilité ou la difficulté de l’existence sont associées à la faculté d’apprendre plus ou moins vite : si on apprend vite, la vie est facile, si on apprend lentement, elle est pénible. Cette approche permet également d’apprendre des choses par procuration, c’est-à-dire sans forcément les avoir vécues soi-même. Plus on progresse vers les classes supérieures, mieux on maîtrise.

    La théorie du Théâtre

    Cette approche présume que nous devons tous, au bout du compte, faire l’expérience de toutes les facettes de l’être humain. Nous continuons à nous réincarner jusqu’à ce que nous ayons tenu tous les rôles — le meurtrier aussi bien que la victime, les existences les plus fortunées comme les plus socialement défavorisées sur le plan terrestre. L’évolution est présumée ressortir de l’expérience, et l’accomplissement d’un cycle réclame que nous expérimentions absolument tout.

    Mais il n’en demeure pas moins plusieurs questions pratiques de fonctionnement. Les choix. Par exemple, certaines personnes croient que nous choisissons tout de nos vies : le moment de la mort, la famille où nous entrons, le corps que nous avons, etc. Ces personnes se retrouvent plus volontiers dans la théorie de l’École ou celle du Théâtre car l’approche Œil pour Œil est si déterministe qu’il n’y reste que très peu de libre-arbitre, donc de choix.

    D’autres personnes pensent que nous ne choisissons qu’une chose : revenir. Une fois ce choix fait, nous « recevons alors ce que nous avons mérité » : c’est compatible avec les trois systèmes. Avec la « pure justice » de l’Œil pour Œil, même simpliste, cela parle énormément aux gens. Les tenants de l’École utilisent une métaphore scolaire : « Quand on réussit le CP on passe en CE1, et quand on sort du lycée, on va à l’université ». Ceux du Théâtre imaginent que certains rôles n’ayant pas encore été expérimentés, on s’oriente naturellement vers l’un d’eux en fonction des types de vie qu’il reste à endosser.

    D’autres approches encore présument que nous n’avons aucune forme de choix et qu’aussi longtemps que nous sommes dans la roue des réincarnations, elle tourne seule de façon automatique.

    Il y a aussi d’autres raffinements. La conception du temps. Certaines théories jettent par-dessus bord notre concept de temps linéaire [...]. Elles suggèrent que nous vivons toutes nos vies (passées, présentes et futures) en même temps et que chacune influence simultanément les autres. C’est bien au-delà de ma compréhension et augmente le problème du lien de cause-à-effet. Il devient plus difficile de percevoir l’ordre et la justesse sous-jacents (ce qui est ma recherche principale, ainsi que celle que bien d’autres personnes cherchent en la réincarnation).

    L’Âme-Groupe

    Une autre variante comporte le concept d’Âme-Groupe (littéralement « oversoul » ou « sur-âme » NdT) impliquant que nous ne soyons pas véritablement des êtres individuels. Au lieu de cela, cette théorie soutient qu’il y a un certain nombre d’Ames-Groupes et chacune se scinde en plusieurs êtres humains lorsqu’il y a réincarnation. Ainsi nous n’avons pas seulement notre propre karma personnel à gérer, mais nous partageons celui de tous ceux qui nous sont liés par la même Âme-Groupe, parce que nous sommes tous un, et que nos séparations ne sont qu’apparentes. La même Âme-Groupe peut par exemple comprendre un meurtrier et sa victime.

    L’attrait pour la réincarnation ou la séduction du « monde juste »

    La théorie du Monde juste

    « Chacun reçoit ce qu’il mérite et mérite ce qui lui arrive ».

    Face à des cas de victimes innocentes, les personnes ont besoin de stratégies pour restaurer la consonance :

    • tout faire pour aider la victime et compenser le préjudice (annuler l’état de victime),
    • punir le fautif quand il existe afin de réhabiliter la victime (logique juridique),
    • penser que cette injustice est provisoire, voire même qu’elle prépare à un bonheur ultérieur (logique religieuse),
    • blâmer la victime pour ce qu’elle a fait (ou pas fait) et en dernier recours la blâmer pour ce qu’elle est.

    Source : Psychologie-sociale.com

    Quelles sont alors les conséquences pour les conseillers (tous les astrologues qui interprètent des thèmes ne le sont-ils pas jusqu’à un certain point ?). Le psychologue Lerner a formulé la théorie du « monde juste ». C’est l’idée que la plupart des gens préfèrent croire que le monde est juste et équitable (et spécialement à mesure qu’il se fait de plus en plus complexe). Je crois que l’attrait pour la justice est la source principale de l’intérêt pour la réincarnation. En tous cas, je sais que ça l’est pour moi.

    Autrement, il serait terriblement injuste, dans un système où il n’y a qu’une seule vie, que je sois née Américaine, blanche et en bonne santé alors que quelqu’un d’autre sera né handicapé dans un pays déchiré par la guerre. Lerner remarquait toutefois un problème : nombre de ceux qui croient au « monde juste » réagissent en « blâmant la victime ». C’est-à-dire que si nous présumons que le monde est en réalité juste, alors beaucoup pensent que certaines personnes sont à l’origine et responsables de leurs problèmes. On retrouve ici le mythe de la femme violée qui l’aurait « voulu » d’une façon ou d’une autre, et d’autres réponses manquant beaucoup de compassion.

    Changer ?


    © Cris Ortega

    J’ai vu (et entendu) des astrologues répondre, en démissionnaires, « c’est votre karma ». J’ai été informée de cas où les personnes se sont vues conseiller de rester dans des situations douloureuses ou violentes parce que « c’est votre karma pour un comportement cruel dans une vie passée ». J’en ai entendu d’autres encore excuser des attitudes stupides parce que « nous avons un lien karmique », comme si cela signifiait qu’elles ne pouvaient pas changer ou faire les choses différemment.

    Si quelqu’un croit sincèrement en la théorie Œil pour Œil, il est probable qu’il ait très peu de pouvoir personnel. Cette approche affirme que l’on doit juste endurer sa punition et attendre une chance de faire mieux plus tard.

    La théorie du Théâtre, si elle est appliquée de façon déterministe, peut partir du point de vue que chacun doit souffrir — du moins tout le temps que l’on joue ce rôle spécifique. Cependant les croyances personnelles sur la durée appropriée pour chaque rôle, ou même s’il est possible d’en changer au milieu de la vie ont une influence importante dans ce cas.

    La théorie de l’École de vie suggère que le changement est toujours une option. Il n’y a aucune bonne raison pour rester coincé dans des schémas douloureux. On peut apprendre plus — et tenter une autre façon de faire. Si la théorie du Théâtre est appliquée de façon flexible, le changement y est aussi possible.

    Pour la plupart d’entre nous, si nous tombions sur quelqu’un pris dans des sables mouvants jusqu’à la poitrine, nous ne lui dirions pas : « Tu t’es mis tout seul dans ce pétrin, débrouille-toi pour t’en tirer ! ». Et je l’espère, nous n’irions pas non plus directement l’y rejoindre. J’ai confiance dans le fait que nous aurions le bon sens et la compassion de trouver une corde à lui lancer pour l’aider à sortir (pour autant qu’il soit désireux de l’attraper).

    Alors pourquoi sommes-nous aussi enclins à dire « c’est votre karma » ? N’est-il pas du tout envisageable qu’il fasse partie du karma de cette personne de recevoir de l’assistance d’une autre pour l’aider à résoudre son problème, que cette assistance soit mentale (un regard sur sa situation) ou sous la forme d’une aide matérielle ? Et si nous refusons d’offrir les aperçus secourables dont nous sommes capables, ne pourrions-nous pas produire du karma négatif pour nous-mêmes dans l’avenir ?

    La problématique du choix est tout aussi influente. Les gens qui croient que certaines choses sont « le destin » et ne peuvent pas être évitées, sont plus susceptibles de ressentir de la sympathie pour ceux qui vivent ces mêmes événements.

    Les personnes qui croient que nous choisissons tout dans nos vies sont plutôt enclines à refuser d’interférer et à présumer que la douleur sert un objectif pour l’individu et présente de la valeur, au bout du compte.

    La représentation du temps compte aussi. Les gens qui trouvent le passé formidable et puissant tendent à se sentir liés par des motifs karmiques. Ils ne voient que très peu ou pas de potentialités de changement.

    Ceux qui voient le temps comme n’étant pas linéaire sont peut-être plus enclins à présumer qu’un changement au présent peut affecter ce qui s’est produit et ce qui sera. Mais même si nous acceptons le temps comme une voie à sens unique (au moins en ce bas monde) nous pouvons changer le karma futur (les conséquences) en changeant une attitude ou des actions présentes. Si nous croyons que le caractère (attitudes ordinaires et actes) crée le destin (conséquences karmiques), les actions d’aujourd’hui peuvent changer le résultat de demain. Si je crois que ma tendance à abandonner le pouvoir et à me sous-estimer attire à moi des partenaires violents, je peux me changer moi-même et changer ma vie. Si je crois que j’attire des relations violentes parce que je l’ai été moi-même dans le passé (et donc « mérite » la punition) ou parce que j’ai choisi d’expérimenter le rôle de la victime pour cette fois, je ne suis pas susceptible de tenter de changer.

    (Notons que même sans croyance à la réincarnation, on peut se sentir si misérable, indigne d’amour ou inutile, que rien de ce que nous pourrions faire ne nous gagnerait le droit d’être aimé et bien traité. Ou encore nous pouvons croire que la souffrance nous gagnera une récompense au paradis, ou qu’elle témoigne d’une autre sorte de moralité supérieure).

    Les questions se succèdent. Les croyances que nous avons à propos du karma affectent puissamment l’espoir (ou la peur) que nous offrons à nos clients et les affirmations que nous faisons à propos de leurs vies.

    PS : Beaucoup d’astrologues associent le karma au nombre 12, mais sa définition de « conséquences d’actions antérieures » et la pouvoir coercitif qui se rouve au-delà du pouvoir personnel suggèrent que le concept est plus proche du nombre 10. Il est vrai que tous les nombres d’Eau : 4, 8 et 12 véhiculent certains sentiments associés au karma : le sentiment de choses qui se produisent et que nous n’avons pas consciemment choisies ou produites. Mais c’est parce que l’Eau symbolise l’inconscient et que nous ne sommes pas souvent au fait de nous peurs souterraines et des désirs qui produisent des événements dans nos vies, ou que nous avons oublié les trains de conséquences qui ont été mis en mouvement dans le passé. Comprendre le nombre 10 comme le karma nous aide à voir qu’il y a des lois qui sont pour une partie être dans un corps dans une culture particulière et à un moment donné de l’histoire. Les lois posent des limites et apportent des conséquences lorsqu’on s’y oppose. Mais lorsque nous comprenons et travaillons avec ces lois, nous accroissons notre pouvoir personnel. Et à mesure que nous internalisons les lois et devenons plus auto-disciplinés, nous n’avons plus besoin des limites extérieures ou figures de pouvoir pour les faire appliquer. Nous pouvons vivre en paix avec le karma, travaillant en coopération pour créer un monde meilleur.

    Par Maritha Pottenger
    Traduit par Anne Lorrai, L'Œil d'Horos N°58

    « Comment fixer des limites personnelles que personne n'outrepasse (2)Pourquoi les gens sur Internet sont-ils si méchants ? »

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