• L'hypothèse Gaïa

    Article de Sean Chamberlin traduit par Hélios et Ey@el

    Available in English

    La dernière moitié du XXe siècle a été témoin d'incroyables avancées dans notre compréhension de la planète Terre. En dehors des réussites technologiques, ces décennies ont apporté une masse substantielle de preuves soutenant une hypothèse révolutionnaire, d'abord soulevée par Alfred Wegener au début des années 1900, que les continents se déplacent autour de la planète, comme des cubes de glace dans un verre. La théorie des plaques tectoniques, comme on l'appelle de nos jours, rassemble un siècle ou plus de recherche scientifique, réunissant les efforts d'océanographes, géophysiciens, climatologues, planétologues et d'autres encore. Cela représente à mon avis ce qu'est la méthode scientifique et fournit un exemple impressionnant de la manière dont fonctionne la science.

    Un autre exemple sur la manière dont fonctionne la science, c'est l'hypothèse révolutionnaire proposée initialement par un chimiste de l'atmosphère à la fin des années 70. Cette hypothèse, connue comme hypothèse Gaïa, expose que la terre est vivante. Tout en étant peut-être agréable à un esprit artistique ou spirituel, l'idée même de l'hypothèse a irrité certains scientifiques. Mais toujours est-il que 20 ans plus tard, l'hypothèse Gaïa est toujours parmi nous.

    Il n'est pas certain que l'hypothèse Gaïa passera l'épreuve du temps. Mais son impact sur la façon de penser notre planète, la façon de voir les processus qui créent notre atmosphère, le climat, les océans et même les montagnes est sans ambiguïté.

    Je pense que vous allez trouver cela fascinant. Ci-dessous la description de l'hypothèse scientifique la plus controversée de notre époque, l'hypothèse Gaïa.

    Qu'est Gaïa ?

    L'hypothèse Gaïa propose que notre planète fonctionne comme un organisme à part entière qui maintient les conditions nécessaires à sa survie. Formulée par James Lovelock au milieu des années 60 et publiée dans un livre en 1979, cette controverse a engendré plusieurs idées intéressantes et de nouveaux secteurs de recherche. Bien que cette hypothèse ne soit nullement démontrée, elle est source de pas mal de leçons utiles sur l'interaction de processus physiques, chimiques, géologiques et biologiques sur Terre. C'est donc un bon point de départ pour notre étude de l'océanographie grâce à la large vue d'ensemble des types de processus qui nous intéresseront.

    Au cours de l'histoire, le concept de Terre Mère a fait partie de la culture humaine sous une forme ou sous une autre. Tout le monde a entendu parler de la Terre Mère, mais avez-vous pris le temps de réfléchir à qui (ou quoi) est la Terre Mère ? Examinez ces explications.

    Le nom hopi pour la Terre Mère est Tapuat (ce qui veut dire mère et enfant), symbolisé par une figure de cercles concentriques ou de carrés. Ces formes symbolisent le cycle de la vie, la renaissance de l'esprit, son chemin terrestre et peut-être son retour vers le domaine spirituel. Les lignes et passages à l'intérieur du « labyrinthe » représentent le plan universel du Créateur et le chemin que l'homme doit suivre pour trouver la lumière.

    On peut trouver une définition plus imposante de la Terre Mère chez la déesse hindou Kali. Elle est le pouvoir cosmique, représentant tout le bien et tout le mal de l'univers, alliant le pouvoir absolu de destruction et le précieux cadeau maternel de la création. On dit que Kali crée, préserve, détruit. Connue aussi comme l'Obscure, son nom signifie « le passeur sur l'océan de l'existence. » Les anciens grecs nommaient leur déesse Terre Ge ou Gaïa. Gaïa incarne l'idée d'une Terre Mère, source d'entités vivantes et non vivantes qui la composent. Comme Kali, Gaïa était gentille, féminine et attentionnée, mais également impitoyablement cruelle envers quiconque la contrariait. Notez que le préfixe « gé » qu'on trouve dans géologie et géographie provient de la racine grecque pour Terre.

    James Lovelock a repris plus tard l'idée d'une Terre Mère et lui a donné une tournure scientifique moderne. (Nos hypothèses modernes d'une Terre Mère sont-elles plus raffinées que les anciens mythes?). Lovelock définit Gaïa comme :

    … une entité complexe impliquant la biosphère, l'atmosphère, les océans et le sol terrestre : la totalité créant un effet retour ou un système cybernétique qui recherche un environnement physique et chimique optimal pour la vie sur cette planète.

    Grâce à Gaïa, la Terre maintient une sorte d'homéostasie, une maintenance de conditions relativement constantes.

    La composante vraiment étonnante de l'hypothèse Gaïa est l'idée que la Terre est une entité vivante à part entière. Cette idée n'est certainement pas nouvelle. James Hutton (1726-1797), le père de la géologie, a décrit une fois la Terre comme une sorte de super-organisme. Et juste avant Lovelock, Lewis Thomas, médecin et écrivain doué, a écrit ces mots dans son fameux recueil d'essais, La vie des cellules :

    Vue de la lune, une chose stupéfiante à propos de la terre, qui en coupe le souffle, est qu'elle est vivante. Des photos montrent la surface sèche et martelée de la lune à l'avant-plan, aussi desséchée qu'un vieil os. En l'air, flottant librement, on voit la terre qui se lève, seule chose exubérante dans cette partie du cosmos. En regardant assez longtemps, on verrait des tourbillons de nuages blancs couvrant et découvrant les masses à moitié cachées des terres. Si on avait regardé pendant un temps géologique très long, on aurait pu voir les continents eux-mêmes en mouvement, dérivant de part et d'autre sur les plaques de la croûte terrestre, maintenus à flot par le feu sous-jacent. On y voit la forme organisée, autonome d'une créature vivante, riche en information, merveilleusement organisée avec le soleil.

    Thomas va encore plus loin quand il écrit :

    J'ai bien tenté de penser à la terre comme à une sorte d'organisme, mais ça ne marche pas...cela ressemble plus à une cellule unique.

    Que la Terre soit une cellule, un organisme ou un super-organisme est surtout une affaire de sémantique, et un sujet que je laisserai à des esprits plus philosophiques. L'important ici est l'hypothèse que la Terre agit en tant que système à part entière — système cohérent, auto-régulé, assemblage de forces physiques, chimiques, géologiques et biologiques qui interagissent pour maintenir l'ensemble équilibré entre l'apport d'énergie venant du soleil et le renvoi d'énergie chaude dans l'espace.

    Dans sa configuration la plus basique, la Terre agit pour réguler les flots d'énergie et recycler des matériaux. L'apport d'énergie par le soleil se fait à un rythme constant et est en pratique illimité. Cette énergie est capturée par la Terre en tant que chaleur ou processus de photosynthèse, et repart dans l'espace sous forme de rayons à grandes ondes. D'un autre côté, la masse terrestre, ses possessions matérielles, sont limitées (sauf par un apport occasionnel de masse par chute d'une météorites). Donc, l'énergie s'écoule d'une part vers la Terre (soleil vers Terre vers espace), pendant que la matière se recycle à l'intérieur de la Terre.

    L'idée d'une Terre agissant en tant que système à part entière mis en avant dans l'hypothèse Gaïa a occasionné une nouvelle prise de conscience d'une connexion de toutes les choses sur notre planète et d'un impact de l'homme sur les processus globaux. Il n'est plus possible de penser en composants séparés ou en parties de Terre distinctes. Il est impossible de penser à des actions humaines sur une partie de la planète comme indépendantes. Tout ce qui se passe sur la planète — la déforestation/reforestation, l'augmentation/diminution des émissions de dioxyde de carbone, la culture ou la mise en jachère de terres agricoles — tout a un effet sur notre planète. L'élément le plus difficile de cette idée est la manière de qualifier ces effets, c'est à dire déterminer si ces effets sont positifs ou négatifs. Si la Terre s'auto-régule vraiment, elle s'ajustera alors aux impacts humains. Pourtant, comme nous allons le voir, ces ajustements peuvent jouer pour exclure l'homme, tout comme l'introduction d'oxygène dans l'atmosphère par des bactéries de la photosynthèse ont agi pour exclure les bactéries anaérobiques. C'est le point crucial de l'hypothèse Gaïa.

    Comment fonctionne Gaïa ?

    James Lovelock, en collaboration avec un autre scientifique éminent, le microbiologiste Lynn Margulis, a d'abord expliqué l'hypothèse Gaïa comme suit : « La vie, ou biosphère, régule ou maintient le climat et la composition de l'atmosphère pour son propre optimum. »

    L'idée inhérente à cette explication est que la biosphère, l'atmosphère, la lithosphère et l'hydrosphère sont dans une sorte d'équilibre — afin de maintenir une situation d'homéostasie. Cette homéostasie ressemble beaucoup au maintien interne de nos propres corps ; des processus internes de notre corps assurent une température constante, un pH sanguin, un équilibre électrochimique, etc. Les mécanismes internes de Gaïa peuvent donc être vus comme l'étude de la physiologie de la Terre, où océans et fleuves sont le sang de la Terre, l'atmosphère ses poumons, la terre ses os et les organismes vivants ses sens. Lovelock nomme ceci science de géo-physiologie — physiologie de la Terre (ou de toute autre planète).

    Vu sous cet angle, on peut faire certaines prévisions et expériences pour réfuter ou donner une preuve de l'hypothèse Gaïa. En fait, ce fut la recherche de vie sur Mars qui a conduit aux premières idées de Lovelock sur l'existence de Gaïa. En tant que membre d'une équipe de la NASA formée en 1965 pour la recherche de vie sur d'autres planètes, on demanda à Lovelock de proposer des hypothèses qui démontreraient si la vie a existé ou non sur la planète. L'une de ces hypothèses était l'idée que les gaz de l'atmosphère d'une planète « morte » seraient en équilibre chimique, c'est à dire que toutes les réactions chimiques qui auraient pu se faire se soient réellement déroulées et que les gaz de l'atmosphère soient relativement inertes. D'un autre côté, si la vie existait sur la planète, les gaz de l'atmosphère ne seraient pas en équilibre et des réactions chimiques se produiraient activement.

    En étudiant la composition gazeuse de Mars et Vénus, ils ont vu que l'atmosphère était largement composée de dioxyde de carbone généralement non réactif. Selon leurs hypothèses, ces deux planètes seraient mortes. En regardant la Terre, ils ont vu que l'atmosphère était un mélange inhabituel et instable de nombreux gaz. Donc on s'attendait à ce que la vie soit présente sur Terre (ce que nous savons tous être vrai).

    Tout en n'étant peut-être pas si spectaculaire, cet exemple devrait vous donner une idée de la manière dont fonctionne la science et comment est née l'hypothèse Gaïa. Le fait que la composition gazeuse de la Terre ne soit pas en équilibre chimique, apparaissant pourtant comme devant être maintenue en état stable, a suggéré une quelconque forme de régulation planétaire. Lovelock suggérait au début que c'était la vie elle-même qui maintenait la composition de l'atmosphère, mais il a élargi le concept pour inclure la totalité du système, climat, roches, air et océans comme procédé d'auto-régulation.

    Pour comprendre comment la Terre pourrait vivre, jetons un œil sur la définition de la vie. Les physiciens définissent la vie comme un système d'entropie localement réduit (la vie est une bataille contre l'entropie). Les biologistes moléculaires voient la vie comme une réplication des brins d'ADN qui sont en compétition pour la survie et évoluent pour optimiser leur survie dans des environnements changeants. Les physiologistes verraient la vie comme un système biochimique nous rendant capable d'utiliser l'énergie de sources extérieures afin de croître et nous reproduire. Selon Lovelock, les géo-physiologistes voient la vie comme un système ouvert au flux de la matière et de l'énergie mais qui maintient une création continue interne.

    Une bonne analogie proposée pour comprendre Gaïa est le séquoia géant de Californie. Ces arbres établis le long de la côte nord de Californie peuvent mesurer jusqu'à 90 mètres de haut et peser près de 2000 tonnes. Certains ont plus de 3000 ans.

    Les séquoias ressemblent à Gaïa parce que 97 % de leurs tissus sont morts. Le bois du tronc et l'écorce sont morts. Seule une petite bordure de cellules le long de la périphérie du tronc est vivante. Le tronc de l'arbre ressemble à la lithosphère terrestre avec une fine couche d'organismes vivants qui parsèment sa surface. L'écorce, comme l'atmosphère, protège les tissus vivants, et permet un échange de gaz importants sur le plan biologique, comme le dioxyde de carbone et l'oxygène.

    Cela ne fait aucun doute pour moi que le séquoia est une entité vivante. Appelleriez-vous séquoia uniquement la couche extérieure et le reste du bois mort ?

    C'est également vrai pour Gaïa. Alors qu'il semblerait qu'une bonne partie de la Terre est « non-vivante », le fait que toutes ces parties non-vivantes sont impliqués dans une certaine mesure dans les processus de vie suggère que la Terre toute entière est en vie, juste comme un séquoia.

    Pour mieux comprendre comment la Terre fonctionne au plan physiologique, regardons un exemple qui a été récemment proposé comme preuve de Gaïa. Comparons les mécanismes de régulation de la température de notre corps et sur Terre.

    Chacun de nous sait que la température de notre corps est conservée très proche de 37°C. Le maintien de cette température corporelle est le résultat de réactions entre le cerveau et les divers organes et systèmes du corps. Notre corps a développé différentes réponses pour augmenter ou diminuer la température interne. S'il fait trop froid, notre corps produit de la chaleur par des frissons ; s'il fait trop chaud, notre corps transpire et nous rafraîchit par l'évaporation. Bien sûr, les humains ont étendu leur capacité de survie dans les températures extrêmes en inventant les vêtements qui isolent, réchauffent et même refroidissent notre corps. De tels vêtements ont permis aux humains d'explorer les eaux les plus froides des océans polaires ou les plus chaudes régions désertiques du monde.

    Sur terre, la température est régulée de manière similaire quoique plus compliquée. Nous allons examiner, plus en détails, comment le soleil réchauffe la Terre dans un autre cours, mais pour lors nous pouvons améliorer notre compréhension en ne considérant que les effets de « l'albédo » terrestre. L'albédo fait référence à la couleur d'une planète et à sa capacité à absorber ou réfléchir la lumière. La plupart d'entre vous a certainement ressenti la différence de température émanant d'une route recouverte de bitume noir et d'un trottoir blanc ; la régulation de la température terrestre fonctionne à peu près de cette façon :

    • Les zones sombres telles que les montagnes en été, les forêts ou même les océans, ont tendance à absorber l'énergie calorifique du soleil.
    • Les zones claires telles que les déserts, les régions recouvertes de nuages, ou les calottes glaciaires des pôles, ont tendance à réfléchir l'énergie solaire.

    Comme vous pouvez l'imaginer, l'albédo de la Terre n'est pas constant. Quels types de changements se produisant à la surface de la planète pourraient affecter l'albédo terrestre ?

    Les nuages constituent une des ressources possibles pour la régulation de la température du globe. Ainsi, plus il y aura de nuages, plus la lumière solaire sera renvoyée loin de la Terre, ce qui lui permettra de se refroidir. A l'inverse, moins il y aura de nuages, plus la lumière solaire pourra atteindre la surface de la planète et lui permettra de se réchauffer. Quels facteurs contrôlent l'abondance nuageuse ?

    De nombreux facteurs affectent la couverture nuageuse de la planète. L'interaction entre l'atmosphère et les océans est l'un des plus importants. Voyez comment se forme le brouillard le long des côtes au début de l'été et vous aurez saisi le concept. D'autres facteurs tels que le phénomène d'ombre pluviométrique et les fronts météorologiques contribuent à la couverture nuageuse de la planète.

    Étant donné que les océans recouvrent les deux tiers de la surface de la Terre, il va sans dire que tout ce qui contribue à la formation de nuages au-dessus de l'océan aura un impact majeur sur la température du globe. Un tel mécanisme suggéré au cours des deux dernières décennies est la libération de noyaux de condensation (CCN) par le phytoplancton marin, en particulier les coccolithophoridés.

    Les coccolithophoridés sont bien connus pour leurs superbes sédiments calcaires dont sont constituées les falaises blanches de Douvres en Angleterre.

    Des nuages se forment lorsque la vapeur d'eau contenue dans l'atmosphère se condense ou gèle. Toutefois, pour que des nuages se forment, une particule, ou « noyau », doit être présente pour « rassembler » l'eau en gouttelettes. Ces minuscules particules, appelées noyaux de condensation, sont contenues dans l'atmosphère et contribuent à la formation des nuages. La vapeur d'eau se condense autour d'elles et donne naissance aux nuages.

    Le sulfure de diméthyle ou diméthylsulfure (DMS) est une substance capable d'agir comme noyau de condensation (CCN). On sait, depuis un certain temps déjà, que certaines algues ou phytoplancton (plancton végétal vivant dans les océans) libèrent des quantités infinitésimales de DMS. La production de DMS par le phytoplancton pourrait suffire à provoquer la formation de nuages et de récentes études ont été menées pour mesurer les quantités de DMS libérées dans l'atmosphère par les organismes marins.

    Ce processus devient intéressant pour Gaïa dans l'éventualité où le phytoplancton pourrait contrôler la température de la Terre en régulant la quantité de nuages au-dessus des océans.

    Imaginez un peu : le thermostat de la Terre est entre les mains du phytoplancton, cette minuscule plante unicellulaire vivant sous la mer ! Lorsque le soleil brille intensément, le phytoplancton pousse rapidement (c'est une plante, n'oubliez pas) et produit du DMS qui amène des nuages. Au bout d'un certain temps, l'accroissement de nuages abaisse la température de la planète mais empêche également les rayons solaires d'atteindre le phytoplancton. En conséquence, ce dernier pousse moins rapidement, moins de nuages se forment, et la température s'élève. Le cycle se répète indéfiniment de manière auto-régulée et équilibrée.

    Bien qu'une recherche plus approfondie soit nécessaire, il existe des preuves indiquant que, dans une certaine mesure, le phytoplancton pourrait contrôler la formation des nuages et la température de la Terre. Sans tenir compte du fait que ce mécanisme se vérifie ou non sur le long terme, il nous permet de nous arrêter et de nous interroger sur la manière dont des organismes vivants et la Terre elle-même pourraient interagir entre eux. Cela devrait nous pousser à nous demander comment un tel mécanisme a pu évoluer. Du moins, il est indéniable que le concept de la planète tout entière — la lithosphère, l'atmosphère, l'hydrosphère et la biosphère — travaillant de concert avec autant d'harmonie est d'un grand intérêt à la fois intellectuel, philosophique et poétique !

    Que prédit Gaïa ?

    Si effectivement, la Terre est un organisme vivant et si la somme de ses processus biologique, géologique, chimique et hydrologique agit de concert, à quoi pouvons-nous nous attendre de la part d'un tel organisme ? Comment devrait-il agir ?

    Nous avons déjà évoqué le maintien de conditions de non-équilibre dans l'atmosphère comme caractéristique d'une planète « gaïenne ». Nous avons également vu comment des organismes tels que le phytoplancton pouvaient transférer des substances chimiques comme le DMS à l'atmosphère et participer ainsi au recyclage des éléments à l'intérieur de la planète. Les organismes jouent un rôle primordial dans tous les cycles chimiques et je voudrais maintenant vous présenter le concept de cycles biogéochimiques.

    De par leur nature même (et comme ce nom le laisse supposer), les cycles biogéochimiques sont un mécanisme par lequel les éléments de la Terre sont transformés et transportés (au sens physique du terme) à travers le globe. Parce que la masse de la planète (et des éléments matériels) est fixe, elle doit recycler ses éléments afin de les rendre accessibles aux autres processus. Faute de quoi, le système entier s'épuiserait et la Terre deviendrait semblable à la Lune.

    Les cycles biogéochimiques les plus courants sont ceux du carbone, de l'azote et du soufre. Les organismes vivants y jouent un rôle fondamental. Sous leur action, d'énormes quantités de matériaux sont consumés, transformés, transportés puis recyclés. En fait, le dépôt de sédiments sur les bas-fonds est responsable du soulèvement des rivages côtiers.

    Les processus planétaires régis par des organismes vivants donnent du crédit à l'hypothèse Gaïa mais ne prouvent aucunement son existence. Si, au bout de plusieurs décennies, un vaste faisceau de preuves se développe et soutient l'hypothèse que notre planète est un organisme vivant auto-régulé, alors l'hypothèse Gaïa pourrait passer au rang de théorie, un peu comme celle de la gravité. En attendant, cette hypothèse stimule notre réflexion et engendre une recherche scientifique nous permettant de mieux comprendre notre planète et comment elle fonctionne.

    Comme un dernier coup d’œil à Gaïa pouvait le laisser deviner, je souhaiterais présenter une théorie personnelle. Une des plus grandes critiques à l'encontre du concept de Gaïa en tant qu'organisme « vivant » est l'incapacité de la planète à se reproduire. L'une des caractéristiques des organismes vivants est bien leur capacité à se reproduire et à transmettre leurs informations génétiques aux générations suivantes. Dans le cas de Gaïa, cela ne semble pas fondé, n'est-ce pas ?

    Je voudrais donc que l'on considère que ce pourrait être l'Homme lui-même qui constituerait le moyen pour Gaïa de se reproduire. L'exploration de l'espace par l'Homme, son intérêt pour la colonisation d'autres planètes, et la vaste étendue d'ouvrages de science-fiction décrivant la terraformation étayent fortement la théorie que Gaïa puisse projeter de se reproduire. Imaginez que l'Homme colonise une autre planète. Imaginez que cette planète commence à se transformer peu à peu, que son atmosphère change, peut-être en provoquant la formation de calottes glaciaires, que des plantes y poussent, créant des nuages et modifiant son albédo. Cette planète ne serait plus jamais un endroit statique interdit. Elle serait transformée en un lieu pittoresque : une entité en évolution, vivant et respirant. C'est là, en effet, le pouvoir de Gaïa et l'une des raisons les plus fascinantes pour vous convaincre d'envisager son existence !

    Pour finir, en dehors de l'importance scientifique de ce dont nous avons discuté ici, nous ferions bien de prêter attention aux pensées plus poétiques de l'auteur de cette théorie. A la fin du premier chapitre de son premier livre, Lovelock écrit :

    Si Gaïa existe, sa relation avec l'Homme, espèce animale dominante dans le système de vie complexe, et l'équilibre des forces sans cesse renouvelé qui existe entre eux, sont à l'évidence des questions essentielles... L'hypothèse Gaïa s'adresse à ceux qui aiment marcher ou simplement rester immobile et contemplatif, à se poser des questions sur la Terre et la vie qu'elle produit et à s'interroger sur les conséquences de notre propre présence ici bas. C'est une alternative à la vision pessimiste qui perçoit la nature comme une force primitive à maîtriser et conquérir. C'est également une alternative à l'image tout aussi déprimante qui présente notre planète comme un vaisseau spatial fou, errant, sans but et sans pilote, dans une sempiternelle rotation autour du soleil.


    Été 1999 : mise à jour

    La toute première fois où j'ai entendu parler de l'Hypothèse Gaïa, dans les années 80, j'étais étudiant de troisième cycle à l'Université de Californie du Sud (USC). Ayant suivi quelques cours sur l'écologie des systèmes, dispensés par le Dr James Kremer, je faisais plus qu'approuver l'idée que des systèmes pouvaient avoir des propriétés émergentes indiscernables de leurs constituants individuels. Dans un tel contexte, l'Hypothèse Gaïa me semblait logique, peut-être de manière plus philosophique que scientifique, mais néanmoins plausible.

    Depuis la rédaction de ces notes, au cours de l'été 1996 (juste avant de commencer à donner des cours à la Faculté de Fullerton), j'en ai appris davantage au sujet de l'Hypothèse Gaïa, à la fois sur Internet et par le biais de conversations avec Tom Morris, qui enseigne la biologie planétaire à la Faculté de Fullerton et héberge la page d'accueil consacrée à cette discipline. C'est également devenu, en quelque sorte, le thème de prédilection de tous mes cours d'océanographie, pas tant l'hypothèse que le concept de processus physique, géologique, chimique et biologique interdépendants, ce qui correspond parfaitement à la théorie gaïenne.

    Voici donc quelques unes de mes découvertes au cours de ces trois dernières années qui pourront sans doute pousser plus loin l'explication et la validation de cette importante théorie.

    Les nombreuses facettes de Gaïa

    Un des développements les plus intéressants de l'Hypothèse Gaïa a été sa transformation de simple hypothèse en hypothèses multiples. Cela n'a rien d'inhabituel dans un travail scientifique et témoigne d'une application saine et percutante d'une méthode scientifique. Cette divergence d'opinions est la conséquence directe d'approches différentes venant de scientifiques en tant qu'individus avec leurs croyances personnelles, dans le sens où leur vision cautionne ou non les éléments de preuve.

    La reconnaissance des nombreuses hypothèses gaïennes s'est développée à partir du symposium sur l'Hypothèse Gaïa tenu en 1988. Un groupe composé, entre autres, de géophysiciens s'était rassemblé pour discuter de cette hypothèse et l'événement, en soi, a contribué à susciter son acceptation. Bien qu'elle ait eu (et ait toujours) de nombreux détracteurs, Gaïa sembla alors s'introduire dans l'acceptation générale avec le concept de l'influence de la vie sur les processus planétaires.

    Indéniablement, personne ne pourrait réfuter les preuves des changements spectaculaires qui se sont produits dans l'atmosphère terrestre primitive à la suite de l'évolution des organismes photosynthétiques, il y a environ 3,5 milliards d'années. L'holocauste de l'oxygène qui en résulta, il y a environ 2,5 milliards d'années, et qui détermina les concentrations en oxygène actuelles, transforma radicalement les processus physique, géologique, chimique et biologique de notre planète. La rouille constitue un exemple typique des altérations chimiques induites par l'oxygène. Sur le plan biologique, il y a l'apparition des aérobies — ou organismes ayant besoin d'oxygène — et le confinement (au sens figuré) des anaérobies — ou organismes n'ayant pas besoin d'oxygène — aux terrains marécageux et aux profondeurs de la Terre.

    Le concept d'influence de la vie sur les processus planétaires (c.-à-d. son effet tangible sur les processus abiotiques) s'est fait connaître en tant qu'hypothèse Gaïa faible (ou déterminante). Aujourd'hui, cette hypothèse est soutenue par les scientifiques dans leur ensemble et, en fait, a très vraisemblablement stimulé la poursuite des recherches sur Gaïa. Même les scientifiques les plus conservateurs conviennent que l'étude de la manière dont les organismes vivants interagissent avec les processus non-vivants pourrait fournir des informations précieuses. Dans une certaine mesure, la majeure partie de nos recherches sur le climat à l'heure actuelle est basée sur ce concept.

    En raison de la définition d'une hypothèse Gaïa faible, l'hypothèse originelle (celle selon laquelle la vie contrôle les processus planétaires) est devenue l'hypothèse Gaïa forte (ou optimalisante) que peu de scientifiques sont prêts à soutenir.

    Une des raisons pour lesquelles l'Hypothèse Gaïa a suscité autant de controverses dans les milieux scientifiques est liée à leur capacité de tester les hypothèses. Comme nous l'avons appris précédemment, la méthode scientifique traditionnelle se base sur la réfutation d'une hypothèse, son invalidation servant à éliminer des explications possibles. Cette méthode qui consiste à prouver la fausseté d'une hypothèse a été introduite, en 1934, par l'autrichien Karl Popper, dans une publication intitulée « Logik Der Forschung » ou « La Logique de la Découverte scientifique ».

    (Popper est décédé en 1994 mais est toujours considéré comme l'un des philosophes les plus influents du XXème siècle. Vous pourrez en apprendre davantage à son sujet en visitant le site Karl Popper. La plus grande objection formulée à l'encontre de l'hypothèse Gaïa forte est qu'aucune expérience ne peut être conçue pour permettre de la réfuter — ou, en l’occurrence, de la vérifier.)

    Sans entrer dans tous les détails, qu'il suffise de dire que ces arguments sont valides. L'hypothèse Gaïa forte soutient que la vie crée sur terre les conditions qui lui sont favorables. C'est la vie qui a créé la planète Terre et non l'inverse. En explorant le système solaire et les galaxies au-delà, il sera peut-être possible, un jour, de concevoir une expérience pour vérifier si c'est bien la vie qui manipule les processus planétaires à dessein ou si elle n'est rien d'autre qu'un processus d'évolution survenu en réaction aux changements dans le monde non-vivant.

    Traduit de l'anglais par Hélios et Ey@el
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  • Commentaires

    1
    Dimanche 13 Avril 2014 à 16:46

    Méheu, Gaïa, c'est pas la nana par qui le scandale est arrivé concernant deux célèbres footballeurs de l'équipe de France ??

     

    OK, je sors.

    2
    Dimanche 13 Avril 2014 à 17:43

    Nan, c'est la soeur de Chantal. :))

    T'as du bol : moi je ne peux pas sortir, c'est ma tête !

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