• La maladie des caissons

    Article d'Ey@el et texte de Radiohead traduit par Ey@el

    Available in English

    Certains ne se lasseront sans doute jamais des "Creep", mais c'est la maladie des caissons qui a véritablement eu raison de moi. Vous l'aurez compris, j'ai succombé à l'ivresse des profondeurs et "The Bends" sera toujours LE morceau de Radiohead par excellence en ce qui me concerne (et puis l'album aussi pendant qu'on y est !). Rien que pour son intro haute en couleurs qui, d'emblée, donne le ton et l'irrépressible envie de se lâcher, pour cette pêche incroyable, aussi, qui continue à déchirer tout du long et enfin ce refrain qui tue : « Oh non ! ». Moi, le mal des plongeurs aurait tendance à me rendre la dépressurisation joyeuse plutôt que de me filer le grand blues. Ce qui demeure assez paradoxal vu que les paroles traitent d'isolement et de dépression. Pour un peu, ce serait surtout ce public de zombies, là derrière, qui me ferait flipper.

    The Bends

    Alors qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
    Les mots résonnent bizarrement.
    Où êtes-vous au moment où j'ai besoin de vous ?
    Tout seul dans un avion,
    Je m'endors la tête contre le hublot.
    Mon sang va s'épaissir.

    Il faut que je me lave encore
    Pour camoufler toute cette crasse et cette douleur
    Parce que j'aurais bien trop peur
    Qu'il n'y ait rien là dessous.
    Mais qui sont donc mes vrais amis ?
    Souffrent-ils tous de la maladie des caissons ?
    Suis-je vraiment en train de toucher le fond ?

    Ma chérie a le mal des profondeurs, oh non
    Nous n'avons aucun véritable ami, non, non, non

    Je reste allongé au bar avec mon goutte à goutte
    À discuter avec ma copine
    En attendant que quelque chose se produise.
    Si seulement on était dans les années soixante,
    Si seulement je pouvais être heureux,
    Si seulement, si seulement...
    Si seulement il pouvait se passer quelque chose !

    Alors qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
    Cette planète est une canonnière
    Dans un océan de peur.
    Ils ont envoyé la CIA, les tanks et tous les Marines
    Pour m'exploser la tronche,
    Me faire sauter le caisson.

    Ma chérie a le mal des profondeurs, oh non
    Nous n'avons aucun véritable ami, non, non, non

    Je reste allongé au bar avec mon goutte à goutte
    À discuter avec ma copine
    En attendant que quelque chose se produise.
    Si seulement on était dans les années soixante,
    Si seulement je pouvais être heureux,
    Si seulement, si seulement...
    Si seulement il pouvait se passer quelque chose !

    Je veux vivre, respirer,
    Je veux faire partie de la race humaine.
    Je vivre, respirer,
    Je veux faire partie de la race, de la race, de la race...
    De la race humaine !

    Alors qu'est-ce qu'on fait maintenant ?
    Les mots résonnent bizarrement.
    Où êtes-vous au moment où j'ai besoin de vous ?

    © Thom Yorke, 1995

    Traduit de l'anglais par Ey@el
    © lapensinemutine.eklablog.com

    A propos de cette chanson

    La maladie des caissons (« the bends ») fait souvent suite à un accident de décompression pouvant survenir aussi bien en profondeur qu'en haute altitude lorsqu'un corps soumis à une forte pression repasse brutalement à un milieu dépressurisé sans marquer de paliers, ce qui ne laisse pas suffisamment de temps aux gaz inertes pour se dissoudre dans l'organisme et entraîne la formation de micro-bulles dans le sang normalement évacuées par les poumons. Les conséquences peuvent d'aller de simples atteintes cutanées ou musculaires sans gravité à des complications vasculaires, cardiaques, vestibulaires, médullaires, cérébrales ou pulmonaires dont l'issue peut s'avérer fatale.

    Paru sur l'album du même nom en mars 1995 et dédié au défunt comique américain Bill Hicks1, "The Bends" a été composé durant une période de grande tourmente pour Radiohead mais surtout pour son leader, Thom Yorke, le plus affecté par la spirale des tournées incessantes et la pression médiatique. On évoqua même certaines tensions entre lui et les autres membres du groupe qui le firent se sentir totalement isolé (« Où êtes-vous au moment où j'ai besoin de vous ? ») et carrément « en train de toucher le fond ».

    À l'époque, on racontait même qu'il allait sans doute devenir le prochain candidat au suicide sur la longue liste des « martyres du rock'n'roll » en référence à la disparition brutale de Kurt Cobain2, à qui on l'avait beaucoup comparé à ses débuts. Le genre d'allégation qui, l'air de rien, doit sacrément faire effet nocebo3 — un peu comme enfoncer la tête sous l'eau d'une personne en train de se noyer — d'où le sarcasme pseudo-paranoïaque poussé à l'extrême dans un humour si British que peu de gens ont su le saisir au niveau qui convient : « Ils ont envoyé la CIA, les tanks et tous les Marines pour m'exploser la tronche, me faire sauter le caisson ».

    Il est sidérant que l'on ait pu reprocher à Yorke de se montrer trop cryptique dans ses paroles quand pour moi tout y est exprimé de manière on ne peut plus claire et limpide. C'est sans doute cette grande lucidité, cette honnêteté sans faille et cette aptitude à tout balancer qui lui ont permis de surmonter cette crise délicate. Non, "The Bends" n'est pas une histoire de défonce. C'est juste l'appel au secours d'un écorché vif qui a vu se réaliser des rêves dont il n'avait ni imaginé ni su anticiper les conséquences et qui en paie douloureusement le prix fort : « Je veux vivre, respirer — je veux faire partie de la race humaine » implore-t-il vers la fin.

    Isolé, en tournée, totalement déconnecté du monde et de ses acolytes, la seule personne qui l'aide véritablement à se maintenir la tête hors de l'eau, à ce moment-là, et avec laquelle il parvient encore à peu près à communiquer, est sa compagne restée à terre (« Ma chérie a le mal des profondeurs ») et son portable devient alors littéralement son « goutte à goutte ».

    Pour l'anecdote, le son bizarre que l'on peut entendre au début du morceau sur l'album « provient de hurlements chaotiques devant un hôtel aux États-Unis », explique Yorke. « Il y avait un type qui faisait répéter des gosses de huit ans en défilant de long en large avec divers instruments. Il avait ce petit micro accroché à son chandail et il leur disait : "Ouais, c'est bon, continuez, continuez." Alors je me suis précipité dehors pour l'enregistrer. »

    Ey@el

    Notes et références

    1. ^ Bill Hicks, humoriste américain, décédé en 1994, qui influença une génération entière d'artistes. Lire son portrait (en français) sur Visions Mag.
    2. ^ Kurt Cobain était le leader du groupe Nirvana, pilier de la scène grunge de Seattle au début des années 90. Comme Hicks, il disparut en 1994.
    3. ^ Du latin nocebo (« je nuirai »), le nocebo serait donc l'opposé du placebo et désigne un effet ou une substance qui semble nuisible à son utilisateur même s'il est objectivement inoffensif.

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