• George Orwell nous avait mis en garde contre la plus dangereuse forme de censure — et nous y voilà maintenant

    Article de Dylan Charles traduit par Ey@el

    Available in English

    © Jackson Simmer

    Le véritable ennemi, c’est l’esprit réduit à l’état de gramophone, et cela reste vrai que l’on soit d’accord ou non avec le disque qui passe à un certain moment.

    ~ George Orwell

    Les géants de la technologie censurent désormais ouvertement l'opinion populaire en supprimant certaines pages sélectionnées sur les réseaux sociaux en soi-disant « infraction avec les règles de la communauté ».

    Évidemment, ces sociétés telles que YouTube et Facebook ne fournissent jamais aucun motif précis quant au retrait des pages créées par leurs utilisateurs (notre chaîne YouTube a été effacée en 2017 sans aucune raison apparente tandis que notre page Facebook s'est vu étouffée au point de perdre toute visibilité) et il n'y a jamais moyen raisonnable de faire appel pour le rétablissement de ces pages.

    Mais au bout du compte, il y a peu de chance que cette forme de censure mène à la redoutée répression des idées du temps des Soviets qui conteste l'ordre établi. Il est plus raisonnable de s'attendre à ce que ces sociétés soient tombées dans le piège de leur arrogance monopolistique et que l'on assiste à un déclin massif de leurs audiences, entraînant un effondrement du cours de leurs actions et une révolte de leurs actionnaires en colère. En d'autres termes, ces sociétés sont en train de se tirer une balle dans le pied.

    Ceci dit, le climat socio-politico-médiatique actuel en Amérique risque d'aboutir à cette forme de censure bien plus dangereuse et insidieuse qu'est l'autocensure.

    Le dictionnaire Cambridge définit l'autocensure ainsi :

    contrôle de ce que l'on dit ou fait afin d'éviter d'irriter ou offenser autrui mais sans que la nécessité d'un tel contrôle soit officiellement déclarée ;

    Et selon Wikipédia (version anglophone) :

    L'autocensure est la mise en œuvre d'une censure ou classification de son propre discours par crainte ou égard aux sensibilités ou préférences (réelles ou supposées) d'autrui et ce, sans pression directe d'un quelconque parti ou organe de pouvoir.

    Autrement dit, l'autocensure revient à se taire volontairement par peur de représailles non officielles, lesquelles peuvent se manifester sous diverses formes, légère ou intense, mais repose fondamentalement sur la crainte de que les autres vont penser de vous ou vous répondre s'ils n'aiment pas ce qu'ils entendent.

    Cette forme de censure est déjà en train de se mettre en place au niveau individuel par peur de contrarier la populace et les hordes de personnalités bien-pensantes qui se font mousser. Par peur que tout ce que vous pourriez dire puisse et soit utilisé contre vous devant le tribunal de l'opinion publique et du politiquement correct. Qu'en faisant valoir votre opinion sur quelque chose, vous risquez de vous faire attaquer par des tyrans manipulateurs tout de noir vêtus et portant des mégaphones, vous faire expulser physiquement d'un restaurant ou harceler dans votre quotidien.

    George Orwell a beaucoup parlé de l'autocensure à la fin de la seconde guerre mondiale. Lorsqu'il a cherché à publier son classique, la Ferme des animaux, une critique métaphorique de la société soviétique écrite pendant la guerre, il s'est fait rejeter par de nombreux éditeurs qui craignaient de heurter le sentiment général qui régnait à l'époque où il ne fallait pas critiquer l'URSS au risque de susciter un conflit diplomatique avec le Royaume-Uni.

    Personne n'avait donné l'ordre aux éditeurs et rédacteurs en chef de ne PAS critiquer l'URSS, pourtant c'est ce qu'ils faisaient afin de ne froisser ni le milieu politique ni le sentiment populaire. En réaction à cela, Orwell avait rédigé une préface à la Ferme des animaux, y expliquant les conséquences de l'autocensure sur une société libre.

    Dans une courte lettre intitulée "La liberté de la presse", il décrit avec justesse la situation à laquelle nous sommes aujourd'hui confrontés.

    Mais le principal danger qui menace aujourd'hui la liberté de pensée et d'expression n'est pas l'intervention directe du ministère de l'Information ou de tout autre organisme officiel. Si les éditeurs et les directeurs de journaux s'arrangent pour que certains sujets ne soient pas abordés, ce n'est pas par crainte des poursuites judiciaires, mais par crainte de l'opinion publique. La lâcheté intellectuelle est dans notre pays le pire ennemi qu'ait à affronter un écrivain ou un journaliste, et ce fait ne semble pas avoir reçu toute l'attention qu'il mérite.

    Orwell poursuit sa critique :

    Les idées impopulaires peuvent être étouffées et les faits gênants passés sous silence, sans qu'il soit besoin pour cela d'une interdiction officielle. Quiconque a vécu quelque temps dans un pays étranger a pu constater comment certaines informations, qui normalement auraient dû faire les gros titres, étaient ignorées par la presse anglaise, non à la suite d'une intervention du gouvernement, mais parce qu'il y avait eu un accord tacite pour considérer qu'il « ne fallait pas » publier de tels faits. En ce qui concerne la presse quotidienne, cela n'a rien d'étonnant. La presse anglaise est très centralisée et appartient dans sa quasi-totalité à quelques hommes très fortunés qui ont toutes les raisons de se montrer malhonnêtes sur certains sujets importants. Mais le même genre de censure voilée est également à l'œuvre quand il s'agit de livres et de périodiques, ou encore de pièces de théâtre, de films ou d'émissions de radio. Il y a en permanence une orthodoxie, un ensemble d' idées que les bien-pensants sont supposes partager et ne jamais remettre en question. Dire telle ou telle chose n'est pas strictement interdit, mais cela « ne se fait pas », exactement comme à l'époque victorienne cela « ne se faisait pas » de prononcer le mot « pantalon » en présence d'une dame. Quiconque défie l'orthodoxie en place se voit réduit au silence avec une surprenante efficacité. Une opinion qui va à l'encontre de la mode du moment aura le plus grand mal à se faire entendre, que ce soit dans la presse populaire ou dans les périodiques destinés aux intellectuels.

    ~ George Orwell

    Dans cette dynamique, l'influence de la pression populaire et commerciale est bien plus efficace à étouffer toute dissension que n'importe quel décret de censure officiel ne pourrait le faire.

    Pour ce qui est de l'importance de la liberté de la presse, l'écrivain américain E.B. White parlait de la valeur culturelle de disposer d'une grande variété de points de vue différents et d'organes de presse courageux professant un large éventail d'idées.

    La presse dans notre pays libre ne doit sa fiabilité et son utilité non pas à sa bonne réputation mais à sa grande diversité. Tant que ses propriétaires seront nombreux, chacun à la recherche de sa propre marque de vérité, nous, le peuple, auront la possibilité d'accéder à la vérité et de résider dans la lumière. La multiplicité de propriété est essentielle. C'est lorsque la presse tombe entre les mains d'une minorité ou sous le contrôle de l'État que la vérité nous échappe et la lumière s'éteint. Pour un citoyen de notre société libre, c'est un immense privilège et une merveilleuse protection que d'avoir accès à des centaines de périodiques, chacun colportant ses propres convictions. La sécurité est dans la multitude : les journaux dénoncent mutuellement leurs folies et peccadilles, se corrigent les uns les autres, et équilibrent les partis pris des uns et des autres. Le lecteur est libre de naviguer à sa guise dans ce micmac éditorial et de l'explorer pour la seule chose qui importe : la vérité.

    ~ E. B. White

    En conclusion

    La censure médiatique est une transformation de la circulation de l'information alors que l'autocensure fait basculer les consciences et constitue un des piliers dangereux de la pensée de groupe.

    Nous n'en sommes pas encore là, et de loin, tant il est évident que les deux côtés de l'échiquier politique américain sont fermement engagés à se faire mutuellement la guerre. Mais à mesure que le discours social poursuit sa digression et que les multinationales et autres institutions se sentent plus habilités à contraindre leurs employés et clients à se conformer à une opinion politique ou une autre, l'autocensure s'insinuera d'autant plus dans notre culture.

    Aurez-vous le courage d'être vous-mêmes à mesure que la pression de la censure sur Internet s'amplifiera ?

    Traduit de l'anglais par Ey@el
    © lapensinemutine.eklablog.com

    Article initialement publié par l'auteur en août 2018 et republié cette semaine.

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