• Souvenez-vous du 5 novembre

    Article d'Ey@el

    Guy Fawkes, vous connaissez ? Oui, sans doute, grâce au fameux film des frères Wachowski, V pour Vendetta1, sorti en 2006, dont le héros-vengeur masqué, aux prises avec le gouvernement fasciste d'un Londres futuriste dystopique, faisait l'apologie du célèbre anarchiste du XVIIe siècle, en lui empruntant son visage. Suite à quoi, son fameux masque est devenu l'icône du mouvement hacktiviste Anonymous dans sa lutte pour la liberté d'expression.

    Les références à Guy Fawkes se retrouvent partout dans la culture britannique et même dans la littérature enfantine avec Harry Potter où, dans la version originale, le phénix de Dumbledore, emblème de la lutte contre l'oppression des forces du mal et des partisans de Voldemort (voir Articles connexes) s'appelle justement Fawkes — sans compter le clin d’œil au fait qu'il se consume périodiquement pour renaître ensuite de ses cendres.

    Étudiante en anglais bien avant l'avènement d'Internet, j'avais forcément entendu parler du « Guy » et de son célèbre « Complot des Poudres » en cours d'histoire — sans grand intérêt je dois l'avouer, jusqu'à ce que j'émigre au Royaume-Uni où j'ai vécu ma première « Nuit des feux de joie »2. Au cœur de la capitale, cela se résume surtout au lancement de nombreux feux d'artifice dans chaque quartier, embrasant ainsi le ciel de part en part. Il est à noter que le 5 novembre n'est pas jour de fête nationale ni même férié outre-Manche mais cette tradition y est très ancrée depuis des siècles.

    Imaginez une sorte de 14 juillet, sans parade militaire, combiné à une fête de la Saint Jean, en plein cœur de l'automne, avec des bûchers allumés un peu partout à travers le pays. C'est beaucoup plus « populaire » sauf que c'est à n'y rien comprendre : ce Guy Fawkes, finalement, il ne voulait pas plutôt mettre fin à la tyrannie des Élites — de manière radicale et condamnable certes (c'était un terroriste, ne l'oublions pas), mais il était du côté des opprimés, non ? Alors pourquoi, célèbre-t-on encore aujourd'hui son échec et brûle-t-on son effigie ? Comme dirait Obélix, « ils sont fous ces Anglais ! ».

    Pas tant que cela en tout cas, car beaucoup s'interrogent, avec ce flegme apparent et cet humour pince-sans-rire qui les caractérisent, de savoir ce que l'on célèbre réellement ce jour-là : l'exécution d'un conjuré notoire ou bien sa tentative d'éliminer le gouvernement ?

    « Cendres, cendres... Nous tombons tous ! »3

    Guy Fawkes, pourtant élevé dans la foi protestante, était un fervent catholique. Contraint de s'exiler, il servit une dizaine d'années comme soldat dans l'armée espagnole où il apprit l'usage des explosifs — talent qui lui valut d'être recruté, en 1605, par un petit groupe de fanatiques4 mené par Robert Catesby pour attenter à la vie du roi et de son conseil.

    Il faut savoir que peu après l'accession de Jacques Ier (également roi d’Écosse) au trône d'Angleterre, les Catholiques du royaume avaient perdu définitivement tout espoir que les pouvoirs en place ne fassent preuve de plus de tolérance à leur encontre — d'autant que même si le souverain venait de signer un traité de paix avec l'Espagne, s'engageant à ne plus persécuter les « Papistes », il subissait toujours, d'un autre côté, la pression constante de la Chambre des Lords l'encourageant au contraire à faire preuve d'encore plus d'intransigeance. Le projet des treize était donc un acte desespéré qui prévoyait de faire sauter le Palais de Westminster au cours de la cérémonie d'ouverture du Parlement le 5 novembre. À noter, toutefois, qu'en bons Catholiques qu'ils étaient, ils auraient quand même dû se douter qu'il n'est jamais de bonne augure d'être treize autour d'une table que ce soit pour y prendre un repas ou comploter !

    Comme de juste, on ne sait par quel Judas, le complot fut révélé aux autorités par lettre anonyme et lors d'une perquisition, le 4 novembre 1605, Fawkes fut découvert avec trente-six barils de poudre dans une cave située juste en dessous de la Chambre des Lords. D'aucuns pensent que toute l'histoire ne fut qu'un coup monté pour exciter l'hostilité envers les Catholiques d'Angleterre, allant jusqu'à remettre en question l'existence de la fameuse lettre de dénonciation. D'autres, encore, suggèrent que la poudre elle-même eut été trop vieille pour provoquer une explosion de toute manière. Comme toujours dans ce genre d'affaire politique, on ne connaitra malheureusement jamais la vérité.

    Fawkes fut arrêté puis torturé sur un chevalet pendant plusieurs jours à la Tour de Londres jusqu'à ce qu'il livre ses complices. Catesby et quelques autres furent tués dans une échauffourée alors qu'ils tentaient de s'enfuir. Lors du grand procès qui s'ensuivit, huit des conjurés survivants, dont Fawkes, furent reconnus coupables de haute trahison et condamnés à être pendus, traînés et écartelés. Toutefois, ce dernier parvint à sauter de l’échafaud, se brisant le cou et échappant ainsi à la pendaison comme l'évoque John Lennon dans sa chanson intitulée "Remember" : « Le héros ne fut jamais pendu, oh non, souvenez-vous du cinq novembre ».5

    Un petit air de Samain

    Souvenez-vous, souvenez-vous du cinq novembre,
    Poudre à canon, trahison et conspiration
    Je ne vois aucune raison pour que la trahison des poudres
    Soit jamais oubliée.
    Comptine anglaise6

    Depuis, tous les ans lors du 5 novembre, le Parlement est fouillé, afin de découvrir la trame d'un éventuel complot.

    Au cours des jours qui précèdent cette date, la tradition veut que les enfants fassent une effigie de Guy Fawkes nommée le Guy — pouvant également représenter un personnage célèbre — qu'ils promènent de porte à porte ou dans les rues en demandant « un penny pour le Guy ».7 Une obole pour contribuer aux feux d'artifice — symboles des explosions qui n'eurent jamais lieu — qui vont illuminer la nation entière à la nuit tombée. Le mannequin est consumé sur des bûchers qui ne sont pas sans rappeler ceux des célébrations de la fête des moissons et de Samain (voir Articles connexes).

    Ces vers, censés faire suite à ceux cités plus haut, sont habituellement écartés des comptines en raison de leur ton violemment anti-catholique :

    Un sou de pain pour nourrir le pape.
    Une obole de fromage pour l'étouffer.
    Une pinte de bière pour le tremper.
    Un fagot de brindilles pour le brûler.
    Brûlez-le dans un bain de goudron.
    Brûlez-le comme une étoile filante.
    Brûlez-le de la tête aux pieds.

    Depuis quelques années, divers objets représentant les malheurs de l'année sont ajoutés au combustible des feux sur lesquels on faisait autrefois cuire des saucisses au bout d'une tige et rôtir des pommes de terre sur la braise. Aujourd'hui, la plupart des bûchers sont protégés par des barrières de sécurité mais ces aliments figurent toujours au menu du très populaire Souper de Guy Fawkes dans les pubs.

    Et un faux air de déjà-vu

    Pourquoi ce petit rappel historique et culturel ? Tout d'abord parce que nous sommes le 5 novembre. Également parce que cette histoire a frappé mon imaginaire et que tous ces lieux que j'ai souvent fréquentés sont « hantés » : la Tour de Londres, le Palais de Westminster près desquels j'ai vécu mais aussi la fameuse colline du Parlement sur la lande d'Hampstead où les membres du complot se seraient réunis et qui se trouve avoir été mon lieu de prédilection (la vue y est imprenable et c'est un véritable poumon vert avec ses bois, ses étangs... et ses légendes).

    Mais la véritable raison est surtout que cette histoire comporte bien des similitudes avec tant d'autres évènements plus ou moins récents et qui ne concernent pas uniquement les Britanniques. Je vous encourage à vous poser la question, à dresser par vous-même les parallèles qui s'imposent et à creuser plus loin si le cœur vous en dit.

    Ey@el

    Notes et références

    1. ^ Il s'agit en fait de l'adaptation d'une série de bande dessinée d'Alan Moore et David Lloyd réalisée de 1982 à 1990 (Wikipédia).
    2. ^ Guy Fawkes Night (en français : « La nuit de Guy Fawkes »), également nommée Bonfire Night ou Fireworks Night (« la nuit des feux de joie » ou « des feux d'artifice ») ou encore Plot Night (« la nuit de la conspiration »), est une fête encore de nos jours célébrée le 5 novembre, initialement au Royaume-Uni, mais également, par extension, dans quelques pays de l'ancien empire britannique, par exemple, en Nouvelle-Zélande, en Afrique du Sud et à Terre-Neuve (Wikipédia).
    3. ^ "Ring A-Ring O' Roses" est une célèbre comptine que les enfants britanniques chantent en faisant la ronde.
    4. ^ Les douze conspirateurs en plus de Robert Catesby étaient John Wright, Thomas Wintour, Thomas Percy, Guy Fawkes, Robert Keyes, Thomas Bates, Robert Wintour, Christopher Wright, John Grant, Ambrose Rookwood, Everard Digby et Francis Tresham.
    5. ^ "Remember", John Lennon (1970).
    6. ^ Source : Wikipédia.
    7. ^ En anglais, le prénom Guy est également un substantif désignant un « gars ».

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