• Toute la laideur (et la beauté cachée) du véritable éveil

    Article de Gary Z. McGee traduit par Ey@el

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    Pour être efficace, la vérité doit pénétrer comme une flèche — et ça risque de faire mal.

    ~ Wei Wu Wei

    Le chemin qui mène au véritable éveil est douloureux et chaotique. Il n'est pas beau à voir. En fait, il peut être franchement moche. Il y a les pièges égoïques ; les ronces qui prennent l'âme au collet ; les nœuds existentiels. La voie n'est jamais claire jusqu'à ce qu'elle le devienne. Et même ainsi, elle s'avère souvent illusoire.

    Le chemin n'est pas fluide et concis mais déchiqueté et flou. Il n'est pas faussement merveilleux mais authentiquement douloureux. D'un côté, la joie de le découverte est profonde et peut vraiment s'avérer extatique, de l'autre l'agonie met l'âme à vif et ses effets peuvent être terriblement désastreux.

    Le véritable éveil est à la fois un jugement dernier et une destruction, une expansion et une annihilation. Il ne prétend pas à une réconciliation. Le véritable éveil est cruellement transcendant. Il prend l'âme à la gorge sans la lâcher. L'infini lance son hameçon et vous tire — hameçon, ligne et plomb — vers le Haut.

    La clé consiste à demeurer flexible et circonspect. Le secret est de trouver en quelque sorte du réconfort dans l'inconfort. Plus facile à dire qu'à faire, c'est certain. Mais comme disait Spinoza, « L'excellence est aussi difficile qu'elle est rare ».

    Une dissonance cognitive qui fend le cœur

    Ne vous y trompez pas : l'illumination est un processus destructif qui n'a rien à voir avec devenir meilleur ou être plus heureux. L'illumination est l'effritement du mensonge. C'est voir au travers des faux semblants. L'éradication complète de tout ce que nous imaginions être vrai.

    ~ Adyashanti

    La laideur : l'inconfort psychologique, l'ignorance, la souffrance causée par le fait d'avoir tort.

    La dissonance cognitive est une affection psychosociale d'enfer. Le bogue contre-intuitif dans la matrice qui nous fait croire que toute croyance est soit noire, soit blanche. C'est faux. La croyance est relative à l'observateur. Et lorsque « l'observateur » est un singe nu peu évolué, faillible et imparfait, et susceptible de se méprendre sur bon nombre de choses, la croyance peut être carrément aveuglante.

    La dissonance cognitive n'est que l'inconfort éprouvé lorsque deux visions du monde incompatibles se confrontent. Elle représente nos peurs enfouies, notre ignorance délibérée et notre tendance à nous accrocher à notre zone de confort. Elle met en lumière notre inaptitude flagrante à mettre en lumière. C'est là le comble psychosocial de l'ironie. En effet, elle révèle que nous sommes le cheveu sur la soupe.

    La beauté cachée : la lucidité, la limpidité, la curiosité, la recalibration.

    Mais quand nous parvenons à accueillir notre dissonance cognitive, à réconcilier l'inconfort d'avoir eu tort, et à corriger nos incorrections, une profonde lucidité s'empare de nous. Soudain, nous sommes capables de reprogrammer notre programmation obsolète.
     
    Un lien fondamental avec la fameuse boutade de Socrate,  « La seule chose que je sais, c'est que je ne sais rien », qui nous saisit des testicules aux os, des ovaires à la moelle. Et notre esprit s'élargit tellement que la seule chose qui puisse lui aller, c'est Tout.

    Une angoisse mortelle qui déchire l'âme

    Ce qui est en haut sait ce qui est en bas, mais ce qui est en bas ne sait pas ce qui est en haut.

    ~ Rene Daumal

    La laideur : la mortalité, l'impermanence, la déchirure.

    L'angoisse existentielle peut s'avérer handicapante pour l'âme. La mort est un précipice envers lequel nous partageons cette peur naturelle du « vide ». Notre mortalité est un affront à nos rêves immortels. Nous portons notre enveloppe mortelle comme un collier étrangleur autour du cou, suffocant d'effroi indicible devant l'impermanence de toute chose.

    Mais à notre grand dam, nous l'ignorons. Plus nous réprimons notre angoisse existentielle, plus les choses s'enveniment. Ça se gangrène de l'intérieur jusqu'à ronger notre logique et notre raisonnement, et devenir une cloque de noirceur refoulée qui aspire implacablement tout l'amour et la lumière et nous rend laids malgré la beauté de la vie.

    La beauté cachée : l'honnêteté, l'adaptabilité, l'intrépidité, l'amour.

    S'éveiller véritablement à sa mortalité est comme permettre à la mort de remettre la vie en perspective. C'est une épée à double tranchant qui taillade en guérissant. Elle tranche avec l'honnêteté et la vérité et guérit avec les mêmes, mais de là naît une robustesse, une résilience équivalant à de l’anti-fragilité.

    Lorsque nous mettons en lumière notre angoisse mortelle, nous faisons de notre ombre notre alliée. La vulnérabilité absolue l'emporte sur l'invulnérabilité naïve. La peur se transforme en un carburant pour le feu (intrépide) de nous éprendre de notre existence précieusement courte.

    La nuit noire de l'âme

    Lorsqu’on la différencie, la conscience indifférenciée devient le monde.

    ~ Vedanta

    La laideur : le trou noir existentiel, la mort de l'ego, la pilule rouge de la vérité avec laquelle on s'étrangle.

    Regarder nos travers en face, nos torts et notre mortalité crée un vide. Ce vide est l'endroit où s'en va mourir notre ego. Là où auparavant nous nous raccrochions naïvement à nos croyances et notre vision du monde par pure ignorance, notre innocence est désormais consumée et le trou noir existentiel béant s'ouvre devant nous, violent et redoutable, et menaçant de détruire toute signification.

    Là, la perspective égoïque connaît une crise profonde. Les certitudes de la vie s'effondrent. Le puzzle devient encore plus déconcertant. Nous nous étranglons avec la pilule rouge qui reste coincée dans notre gorge. Nous imaginons à tort qu'il suffit d'avaler la pilule bleue pour la faire passer. Mais à la mort de l'ego émerge l'âme.

    La beauté cachée : la transcendance, le non-attachement, l'initiation de l'Âme.

    Lorsque nous affrontons nos torts et notre mortalité avec dignité et honneur, avec humour et honnêteté, avec amour et appréciation, nous découvrons notre faculté d'adaptation et de dépassement. Notre égo est baptisé par l'âme et devient ainsi un moteur d'altruisme et de croissance en lieu d'égoïsme et de confort.

    Nous transcendons la codépendance égocentrique par l'interdépendance centrée sur l'âme. Nous apprenons à ne pas nous prendre trop au sérieux. Parce que nous voyons à quel point tout est transitoire. Toutes les choses sont passagères. L'alpha et l'oméga sont perpétuellement en phase de démarrage et d'achèvement. Nous avons appris la sagesse de pratiquer le détachement pour rester connecté à tout le reste.

    Le nihilisme dévastateur

    C'est uniquement dans la mesure où nous pouvons nous exposer inlassablement à l'annihilation que nous parviendrons à découvrir ce qu'il y a d'indestructible en nous.

    ~ Pema Chodron

    La laideur : la démolition de l'invulnérabilité, l'insignifiance, le complexe de maîtrise.

    Plus nous prenons d'essor dans notre introspection, plus l'univers devient insignifiant. C'est une vérité dévastatrice pour tout chercheur de vérité. Dans notre naïveté et ignorance juvénile, nous imaginions un univers riche de sens et de consistance ;  une ébauche divine et un schéma directeur bienveillant. Mais nous avons affronté notre dissonance cognitive et notre angoisse mortelle. Nous sommes passés par la mort de l'ego et tout s'est dénoué. Le centre de pensée magique irréaliste et chimérique ne pouvait tout simplement pas tenir.

    Nous avons dû faire le choix de rester bloqués dans un leurre confortable ou bien de découvrir la vérité qui brise le cœur ; de demeurer dans l'ignorance parfaite ou dans la connaissance qui fait mal. Nous avons choisi la seconde alternative et cela a tout changé. Le nihilisme, l'ennui, l'insignifiance en ont été le prix à payer, mais ont servi à affûter notre âme et désormais nous sommes suffisamment aiguisés pour couper Dieu.

    La beauté cachée : l'humour, la vulnérabilité absolue, la responsabilité, la création signifiante.

    Le véritable éveil est une expérience qui brise le cœur, ébranle l'âme et dévaste ce qui fait sens. Les sages développent un sens de l'humour bienveillant face à la cruauté de cette blague cosmique. Ils sourient même si leur cœur est en miettes. Ils sourient même si leur âme tremble. Ils créent du sens même si toute signification s'écroule.

    Comme l'expliquait avec profondeur Joseph Campbell, « Soudain on se retrouve déchiré par la vie. Et a vie est douleur ; la vie est souffrance ; la vie est horreur, mais mon dieu, on est en vie et c'est spectaculaire. » En effet. Et c'est cette expérience spectaculaire qui nous initie à un état de révérence pour l'affûtage de notre grande souffrance.

    L'aiguisage ne vient pas naturellement aux couteaux. Le lustre ne vient pas naturellement aux perles. La cristallisation ne vient pas naturellement aux diamants. Il faut tester le couteau. Il faut frotter le sable. Il faut pressuriser le charbon. Si nous n'avions pas été aiguisés, si nous n'avions pas été frottés, si nous n'avions pas subi de pression de la part d'un univers cruel, tout ce que nous aurions serait du sable, du charbon et de la grisaille Mais nous avons pris la laideur de notre éveil pour la transformer en beauté de vivre notre vie pleinement.

    Traduit de l'anglais par Ey@el
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